LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Des vivants

En ce 8 mai 2024, le thème des bulles de la semaine était tout trouvé : la seconde guerre mondiale. J’ai choisi de lire un roman graphique de Raphaël Meltz, Louise Moaty et de Simon Roussin sur un des premiers groupes de résistance française, celui du Musée de l’homme. « Des vivants » relate son histoire de sa création au lendemain de la signature de l’armistice par le Maréchal Pétain en 1940 jusqu’à son démantèlement, en 1942, par l’occupant.

Le réseau de résistance du Musée de l’Homme a été le premier à se structurer et à avoir des ramifications un peu partout en France. Les auteurs nous font suivre le parcours de ses membres, les moyens mis en œuvre pour résister et ne pas plier.

On voit les chercheurs et les employés du Musée partir au front pour la drôle de guerre, puis certains revenir pour entrer dans la clandestinité. Le réseau est fait d’hommes et de femmes de toutes conditions sociales, de toutes confessions, de toutes opinions politiques, refusant de baisser les bras et d’accepter l’inacceptable. Ils seront à l’origine d’actions concrètes telles que la rédaction et la publication d’un journal clandestin, l’évasion de soldats anglais ou de prisonniers souhaitant rejoindre l’Angleterre et de Gaulle. Ils s’appelaient Germaine Tillon, Boris Vildé, Yvonne Odon, Anatole Lewitsky, ils croyaient en leurs idées, à l’image d’une France refusant la fatalité ; ils croyaient au bien-fondé de leur combat, ils croyaient au savoir et à son universalité, ils croyaient en l’humanité, en l’intelligence, ils croyaient à la culture dans sa riche pluralité.

Les auteurs offrent le récit d’une période historique tragique et porteuse d’intenses émotions dans une démarche historique rigoureuse. Tout ce qui est relaté, écrit, est véridique : ce sont les mots prononcés par les membres du réseau, rien n’est inventé ou enjolivé, c’est ce qui fait la force du roman, un roman d’une grande sincérité. Ils donnent la parole à des personnes héroïques, oublieux d’eux-mêmes au nom de la liberté.

« Des vivants » est aussi un bel objet-livre : il a un dos toilé, un grammage parfait et les planches sont d’une beauté incroyable. Chaque personnage a son identité graphique, la palette de couleurs choisies (vert, violet et orange) donne une profondeur au récit et lui apporte une très forte dimension dramatique. Les planches relatant la détention des membres arrêtés sont poignantes et belles.

Ce fut une lecture forte, poignante que je n’oublierai pas de sitôt : la compagnie de ces héros, qui ignoraient leur courage jusqu’à l’Occupation allemande, était édifiante sans que les auteurs ne se posent en donneurs de leçons : les faits, bruts, durs et sans filtre parlent d’eux-mêmes et laissent le lecteur se faire son idée.

Quelques avis :

Babelio

Lu dans le cadre

Les bulles de la semaine sont à découvrir et lire chez Fanny.

#Un mois au Japon·LaBD de la semaine·Littérature française

Shamisen

Ce conte est inspiré de la, vraie, vie de la goze Haru Kobayashi, grande joueuse de shamisen.

Par une nuit d’hiver, glaciale et venteuse, une jeune femme dépose son bébé, aveugle, à la porte d’une maison. Un vieil homme, joueur de shamisen, instrument traditionnel japonais, y vit et recueille le nourrisson. Il décide de l’appeler Haru.

Le roman graphique relate le parcours d’Haru, joueuse de shamisen aveugle, goze ou musicienne, artiste itinérante allant de village en village, dans tout le Japon, pour égayer les paysans et les marchands. Après avoir ému au plus profond d’eux-mêmes, les habitants d’un village où elle s’est produite, par sa musique et son chant, Haru continue sa route et pénètre dans une forêt. Elle rencontre le kappa, une créature qui a enlevé des enfants du village. Il se plaint et se lamente à Haru de ne provoquer que répulsion et haine. Elle, elle ne le fuit pas, n’est pas dégoûtée par son aspect …. elle est aveugle, certes, mais est sensible aux émotions d’autrui, aux moindres bruits qu’elle perçoit, aussi saisit-elle la colère, la souffrance que le kappa a en lui en raison du rejet qu’il subit. Haru lui offre un récital qui transporte, par sa beauté, la créature au point d’en être transformée, au point de rendre les enfants à leurs parents et de s’excuser de ses nombreux méfaits. La musique délicate a touché en plein cœur celui qui souffrait de colère et de haine. Comme le récital lui ouvre une nouvelle voie dans sa vie, que ce moment de grâce passé avec Haru symbolise la fin de ses mauvaises attitudes, le kappa souhaite la remercier en lui offrant une clef, celle de la dimension divine. Haru reprend son chemin, son itinérance, et rencontrera les protagonistes du folklore japonais. Une en particulier, la fera souffrir mille morts en exigeant un récital alors qu’il fait un froid glacial, que ses doigts gelés et sa gorge nouée ne peuvent produire aucun son. Haru refuse d’accéder à la demande de la Sorcière des neiges qui transforme tout ce qui l’entoure en statues de glace. Jusqu’à ce que …. je n’en dirai pas plus.

« Shamisen » offre une immersion dans le folklore japonais, encore méconnu en Occident malgré le franchissement des frontières de la culture japonaise. Les scénaristes Tiago Minamisawa et Guilherme Petreca, qui signe aussi les illustrations, proposent une promenade onirique aux côtés d’Haru au cours de laquelle sont abordés en profondeur les thèmes de la beauté et de la liberté de l’art. Ils permettent de découvrir les yokaï, divinités japonaises qui accompagnent ou perturbent le cheminement d’Haru, un peu à la manière des korrigans dans les contes traditionnels bretons.

Les dessins sont minutieux et s’inspirent à la perfection de l’art pictural nippon, notamment celui des ukiyo-e, peintures sur bois. Les planches peuvent rappeler des tableaux ; elles sont magnifiques et invitent à la contemplation, au questionnement philosophique et à la méditation.

Le plus du roman graphique est la transcription en japonais et en français des textes chantés par Haru et le chapitre final des références et inspirations qui apportent de nombreuses informations historiques et culturelles pour enrichir la lecture et titiller la curiosité intellectuelle pour ouvrir d’autres portes littéraires ou artistiques. Sans oublier la possibilité de scanner le QR Code afin de s’immerger encore plus dans la culture nipponne.

« Shamisen » se lit et se relit, émerveille et ne lasse à aucun moment. J’ai aimé me perdre dans les dessins et leurs détails. Un moment de pur bonheur de lecture.

Quelques avis:

Babelio Journal du Japon

Lu dans le cadre

Les bulles de la semaine sont à découvrir et lire chez Mokamilla.

LaBD de la semaine·Non fction/ Essai·Roman graphique/BD

La petite bédéthèque des savoirs, T22: le libéralisme

Cette semaine est consacrée aux bulles documentaires et, bien ennuyée par le thème, je suis allée demander conseil auprès des bibliothécaires de la médiathèque. Elles m’ont présenté le seul tome, sur les étagères, de la « Petite bédéthèque des savoirs » aux éditions du Lombard : « Le libéralisme » écrit par Pierre Zaoui, professeur de philosophie, et mis en images et couleurs par Romain Dutrex.

L’objet en lui-même est très agréable, la couverture est géniale et donne envie d’ouvrir l’ouvrage. Je me suis donc lancée.

Vous saurez tout sur le libéralisme en lisant cet opus, érudit mais pas trop, vulgarisant avec efficacité les notions contenues dans le libéralisme. Les illustrations, très drôles et colorées, sont au service du texte, parfois ardu, et permettent au béotien de ne pas fermer le l’album.

D’emblée, j’ai été confrontée à la polysémie du mot « libéralisme », tellement polysémique qu’il en devient abstrait et un véritable fourre-tout. J’ai suivi, tant bien que mal, les premières théories du XVIIIè siècle, accompagnée par les mânes de David Hume et de Montesquieu. Ces derniers ont aussi bien du mal à comprendre les multiples nuances du libéralisme : entre le début de l’industrialisation, en passant par la Révolution russe, le programme économique du Parti communiste chinois, François Fillon, Emanuel Macron et les migrants du XXIè siècle en quête de libertés, il y a de multiples déclinaisons aussi contradictoires qu’antagonistes. Nos deux fantômes en goguette cherchent à comprendre comment le monde en est arrivé là. Ils en lisent des livres au point qu’ils squattent une librairie des heures durant ! Ils se désespèrent en constatant que le libéralisme qu’ils avaient imaginé est devenu tellement protéiforme qu’on ne peut le résumer en quelques mots.

Au commencement, tout allait bien : le libéralisme était un moyen pour obtenir une paix perpétuelle grâce aux libertés et aux échanges tant économiques que culturels. Rapidement, le libéralisme part dans toutes les directions, oubliant par-ci une once d’humanisme, ajoutant par-là une dose d’égoïsme. Pourtant de loin, « les libéraux sont tous différents, des esprits libres et des individus singuliers » …. de loin seulement car il suffit d’ôter les masques pour que derrière s’affiche le même désir du profit, un profit pas vraiment pour le bien commun. Alors quand l’idée, très belle au départ, du libéralisme a-t-elle dérapé ? Sans doute lorsque le libéralisme est devenu un concept-monde où tout est tellement imbriqué que son côté émancipateur se transforme en système aliénant.

Nos deux revenants s’interrogent « Où ça a merdé ? » et Montesquieu de lire à haute voix un passage édifiant « Autrement dit, la finalité des premiers libéraux – la paix – les a conduit à promouvoir un système aussi efficace que dangereux car risquant à chaque instant de rendre à nouveau la guerre désirable, y compris sous des formes encore pires que celles qu’ils avaient jusque là connues… » Quand ils terminent de compulser les ouvrages sur les guerres mondiales, ils sont consternés et se disent que les hommes sont loin d’être matures pour mettre en place un vrai libéralisme.

Bon, alors, c’est quoi le libéralisme, en vrai ? Issu d’un désir de justice nouvelle et d’une nouvelle soif de l’or. Né d’un désir d’ordre et de révolution, de libération que de soumission des masses au travail, d’un désir de paix et de solidarité avec en corollaire celui de la lutte incessante pour dominer l’autre. D’un côté des idéaux honorables, de l’autre des pulsions horribles et mortifères. De quoi avoir mal au crâne à force de vouloir rendre clair ce qui paraît plus que flou.

Le libéralisme, c’est comme à la Foirfouille, on trouve de tout.

« Le libéralisme » est un opus dans lequel les auteurs font la part belle à l’humour ce qui permet de ne pas perdre le lecteur. L’introduction de Pierre Zaoui donne des bases pour comprendre le discours tenu dans le documentaire. Le glossaire est très bien ciblé et est accompagné par un index des théoriciens, des économistes, des philosophes cités dans l’ouvrage.

Une bédé documentaire intelligente que j’ai pris plaisir à lire.

Quelques avis:

Babelio

Quelques images:

Lu dans le cadre

D’autres bulles à découvrir et à lire chez Fanny.

LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Céleste: il est temps Monsieur Proust

La dernière partie du diptyque consacré à la relation entre Céleste, la gouvernante, et Marcel Proust, change de registre : après l’idylle viennent les remous du quotidien. L’admiration envers Proust est toujours présente chez Céleste, cependant un grain de sable vient gripper l’ordonnancement des jours. Céleste souhaite évoluer dans sa fonction auprès de l’écrivain tandis que ce dernier rêve de gloire littéraire au point d’en devenir pénible. Rapidement les esprits s’échauffent, l’atmosphère devient tendue et les relations entre Céleste et Proust sont tumultueuses. Rien ne va plus !

Céleste et Marcel parviendront-ils à surmonter les épreuves du quotidien ? Leurs liens en sortiront-ils plus forts ?

Dans un huis-clos passionnant et mené avec brio, Chloé Cruchaudet mène son récit très rythmé, loin du regard contemplatif des deux héros du précédent opus. Céleste est même méconnaissable quand elle revendique une fonction plus en accord avec ce qu’elle gère et avec l’idée qu’elle en a. Elle ne veut plus être une simple servante à tout faire, elle veut être intendante de la maisonnée de Proust. En bon détesteur du changement, Proust rechigne beaucoup, ne comprenant pas les raisons de la demande de Céleste. Résultat, cette dernière quitte Proust en le laissant dans le désarroi le plus total. Marcel ne tiendra pas longtemps et fera dire à Céleste qu’il accepte tout, sans condition. Entre alors en scène la sœur de Céleste dont le rôle sera de gérer la cuisine, la lessive et le ménage.

La vie reprend son cours, Proust et Céleste sont heureux de se retrouver, Céleste est devenue gouvernante-intendante-secrétaire-confidente de son employeur.

Le deuxième tome met plus en avant le quotidien de la maisonnée, notamment un grand bouleversement : celui du déménagement. En effet, l’immeuble où vit Proust a été vendu, ce dernier doit trouver un autre toit. Ce sera Céleste qui aura la charge de dénicher un nouveau nid pour Proust, ce qui ne sera pas facile. Un autre événement, de taille, a lieu : l’attribution du Prix Goncourt à Proust après bien des manœuvres de sa part (j’ai ri devant les scènes où Proust décide d’écrire, lui-même, des critiques positives sur son roman). J’ai beaucoup apprécié les scènes entre les deux sœurs, leur complicité et leurs moments partagés. Jusqu’au bout elles assisteront Proust, le dorloteront, en prendront soin afin qu’il se consacre entièrement à son œuvre.

Les illustrations sont toujours aussi belles et émouvantes, elles m’ont plongée dans l’univers feutré d’un auteur aux nerfs toujours à vif, passant de l’espoir le plus fol au plus profond dépit voire découragement. Elles font que les personnages sont incarnés avec justesse, avec une pointe, bien dosée, d’humour et de tendresse. Ainsi la scène du déménagement absolument fantasque.

La deuxième partie a été à la hauteur de mes attentes… parfaite : j’ai pu lire une belle histoire empreinte d’humanité et dotée d’un verbe magnifique rendant hommage à l’univers proustien.

Quelques avis :

Babelio Mokamilla Gambadou

Quelques planches:

Lu dans le cadre

D’autres bulles à découvrir chez Noukette.

LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Petit traité d’écologie sauvage T2: la cosmologie du futur

Lors d’un café lecture organisé par la médiathèque de ma ville, les bibliothécaires nous avaient présenté cet album rempli d’humour, mettant en commentatrices d’actualité des mésanges vraiment féroces. « La cosmologie du futur » est le deuxième tome de la série « Petit traité d’écologie sauvage » d’Alessandro Pignocchi.

Que dire de l’album si ce n’est que sa lecture est jubilatoire tant la trame est extraordinairement décalée. Qui mène la danse dans le récit ? Des mésanges « punk », zadistes au possible et prêtes à tout pour leurs idéaux en se mêlant de politique. Au point que les candidats à l’élection présidentielle font défection les uns après les autres. Même les « petits » candidats prennent la poudre d’escampette et préfèrent se retirer pour cultiver leur jardin. Le pauvre Manu se voit déjà condamné à rester en place. On remarque que les renonciations ont toujours lieu après une action des mésanges déterminées à remettre de l’ordre dans le pays. Dans cette fantaisie, le concept de nature a disparu et certains politiques prennent à cœur l’écologie et proposent une vie alternative, celle de l’entraide face à l’effondrement du système occidental.

On rencontre également un anthropologue jivaro qui tente de sauver ce qui reste de la culture occidentale, l’ethnocentrisme change de point de vue, ce pas de côté montre combien notre culture occidentale, fondée sur la marchandisation de tout ce qui est possible de vendre, est proche de la déliquescence. Face à l’anthropologue jivaro, les hommes politiques deviennent plus animistes que les Indiens d’Amazonie au point qu’il y en a à souhaiter être initiés. Cela donne lieu à quelques tranches de vie particulièrement savoureuses : Manu et Don, jambes de pantalon retroussées, tapant la discute en essayant de chasser le gardon au trident, le second se lamente parce que l’histoire l’a oublié, le premier tente de le recentrer sur leur objectif principal, attraper de quoi recevoir à dîner d’anciens chefs d’état. Ou encore Marcel Proust à Apostrophe clamant que la bande dessinée est un art mineur jusqu’à ce tout dérape et qu’il affirme que s’il avait vécu en harmonie avec la nature ce n’est pas son enfance dont il se serait souvenu mais de sa vie antérieure. Il exhibe ses scarifications telles que les font les indiens Guayakis.

J’ai vraiment aimé l’album tant par ses textes engagés d’un humour féroce, celui des mésanges révolutionnaires, alternant avec un humour décalé, celui des politiques sombrant devant l’alternative proposée par les oiseaux qui se mêlent de politique, que par les illustrations très douces. Les aquarelles sont poétiques lorsqu’elles ont pour sujet les mésanges, douces lorsqu’elles illustrent les politiques ou hommes de lettres connus.

Alessandro Pignocchi, chercheur en sciences cognitives et en philosophie, avec sa BD se lance dans une approche écologique, humoristique et anthropologique de notre monde grâce au petit pas de côté qui permet de le regarder par un autre prisme. Elle a le mérite de provoquer un début de prise de conscience

Ce qui est certain c’est que dès que je regarde les mésanges de mon jardin, je ne peux m’empêcher de sourire en les imaginant en train de tenir des discours subversifs aux autres volatiles squattant le prunus.

Quelques avis :

Babelio

Quelques planches:

Lu dans le cadre

Toutes les bulles de la semaine sont à lire chez Mokamilla.

La bibli des p'tits chats (ados)·LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Les quatre de Baker Street: les orphelins de Londres

Les journaux londoniens relaient une terrible nouvelle : le célèbre détective Sherlock Holmes, lors d’une confrontation avec son ennemi le professeur Moriaty, aurait trouvé la mort dans les Chutes de Reichenbach. Nos trois francs-tireurs sont désespérés et lors d’une dispute, le trio vole en éclats, chacun partant, plein de rancoeur, de son côté. Las, les trois enfants se retrouvent bien vite dans les ennuis jusqu’au cou sans compter qu’un autre danger rôde : leur pire ennemi, Bloody Percy, est à leurs trousses. Comment pourront-ils s’en tirer ? Le Docteur Watson saura-t-il protéger les protégés de Sherlock ?

Ce quatrième tome fait la part belle aux francs-tireurs qui m’ont entraînée dans les pires quartiers londoniens et surtout dévoile les conditions de vie précaires, sordides et dangereuses pour les orphelins à l’époque victorienne. Charlie se retrouve dans une maison de redressement tenue par des religieux suite au vol d’un pain. Watson, son matou, doit se défendre seul après l’arrestation de sa jeune maîtresse. Tom est retourné auprès de son oncle et reprend ses activités de monte-en-l’air tandis que Billy est pris à partie par les jeunes sbires à la solde de Percy et parvient à échapper à un funeste sort en l’envoyant, tête la première, dans un brasero de fortune, la douleur intense de la brûlure décuplant sa haine envers les protégés de Sherlock. Il devient urgent, pour Billy, de retrouver ses amis afin de leur éviter une mauvaise rencontre et de trouver aide et conseil auprès du Dr Watson.

L’album met l’accent sur le sort réservé à certains orphelins, à Londres : Charlie est prisonnière d’une institution soi-disant de bienfaisance, institution qui profite, honteusement, de la faiblesse des recrues pour les asservir à des tâches exténuantes, dégradantes dans une ambiance délétère et dangereuse pour la santé. Les fillettes et jeunes filles sont exploitées au point de mourir de mauvais traitements et de manque de soins. Tout cela au nom d’une morale bien galvaudée par la manière dont la société utilise les déshérités. Charlie, au caractère bien trempé, tiendra tête au sévère duo d’éducateurs et parviendra à leur fausser compagnie.

La vie aurait pu continuer ainsi, rapines pour survivre, confrontation aux multiples dangers des bas-fonds de Londres. Mais, notre trio, après bien des péripéties, se retrouvera pour porter un dernier coup d’estoc à Percy. L’intrigue est, encore une fois, très bien menée et parfaitement rythmée, les fils distincts des trajectoires individuelles des francs-tireurs amenant ces derniers à retrouver un autre orphelin londonien, John Watson sur qui ils pourront compter. Ne pas oublier, l’art de persuasion de la discrète Mme Watson. J’ai apprécié les scènes de bagarre, toujours très bien traitées, le graphisme des personnages et les couleurs judicieusement utilisées (elles apportent beaucoup aux atmosphères des scènes).

Et Sherlock dans tout ça ? La dernière case de l’album apporte une note d’espoir pour nos jeunes amis.

« Les orphelins de Londres » est un album intelligent, virevoltant, imbriquant tendresse, amitié, douleur, courage, révolte, ruse, astuce à toute la gamme des émotions humaines.

Lu dans le cadre

Les bulles de la semaine sont à découvrir chez Noukette.

LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Céleste, bien sûr Monsieur Proust (première partie)

L’album avait fait partie des coups de cœur des bibliothécaires de la médiathèque de ma commune. Je m’étais dit que je le lirais à l’occasion, sans plus. Puis, j’ai lu des commentaires élogieux et enthousiastes qui ont fini par me convaincre qu’il était nécessaire que je le lise. Quand, enfin !, l’exemplaire m’a été prêté, une certaine appréhension m’a assaillie : et si mon attente avait embelli les choses au point que cela fasse « pschiiiittt » ? Et si j’étais horriblement déçue ? Et si … et si …. et si…

1913, Céleste Albaret, tout juste arrivée de sa Lozère natale, jeune épouse d’Odilon, chauffeur à l’occasion de Mr Proust, ne sait pas quoi faire de ses dix doigts. Grâce à son époux, elle entre au service de Marcel Proust, d’abord à temps partiel puis rapidement à temps complet car elle est amenée à remplacer le majordome de la maison. Se tisse, entre 1913 et 1922 année de sa disparition, une amitié atypique entre Proust et Céleste. Chloé Cruchaudet, puisant à de nombreuses sources, met en lumière une relation extraordinaire et hors du commun entre Céleste, bonne à tout faire puis surtout gouvernante et secrétaire du grand homme, et Marcel Proust. C’est qu’ils se ressemblent un peu par leur côté décalé et fantasque. Céleste est dévouée et protectrice envers cet écrivain souffreteux, préférant les hommes aux femmes, précieux et raffiné. Elle, si éloigné de monde des gens aisés, cultivés et parfois hautains. Elle saura apprendre à ne pas déplacer la poussière, art subtil et ardu, à lui servir un café toutes les heures, à ne pas déranger ses petites manies, à lui préparer ses bouillottes, à l’écouter parler, se plaindre des uns et des autres, à faire en sorte que rien ne puisse ennuyer Marcel Proust. Céleste la petite campagnarde pleine de vie avec ses rêves, pose un regard sur le monde empreint de jovialité et de bienveillance. Proust, cet homme d’un monde et d’un temps bientôt révolus, est dessiné avec brio, tout en détails amusants et émouvants. A ses côtés, Céleste s’épanouira, grandira à l’ombre d’un amour platonique tout en délicatesse. Entre réalité et fantasmes, j’ai adoré la manière dont elle met en images les recommandations de son mari « c’est une petite chose fragile et délicate qui a besoin de nous… sa chambre, c’est tout son monde. Quand il sort c’est pour glaner de la matière pour « son oeuvre », comme il dit, ça c’est mon rôle … le tien c’est d’assurer sa tranquillité et son café… ». Et puis il y a ces gentillesses adorables de Monsieur Proust « Vous êtes jolie, Céleste ».

Chloé Cruchaudet réussit parfaitement à faire entrer le lecteur dans les pensées de Céleste grâce aux passages oniriques du récit graphique. Comme elle parvient, magnifiquement, à montrer la connivence entre Céleste et Proust tout en soulignant que chacun reste à sa place tout en respectant l’autre. Céleste est attachante, émouvante, je n’ai pas eu envie de la quitter. Quant à Marcel Proust, il est à l’image d’une époque enfuie : délicieusement suranné, sans illusion sur ses contemporains et appréciant le confinement dans sa chambre, lieu de toute sa créativité littéraire… ô ces pages pliées en accordéon et collées par Céleste lors des relectures et corrections du Maître.

« Céleste, bien sûr Monsieur Proust » est un album « cocon », d’une grande douceur dans le texte et les illustrations. Il est beau, tout simplement. Ce fut un enchantement que de le lire et d’apprécier chaque dessin, chaque détail, chaque moment d’immersion dans une très belle histoire d’amitié respectueuse.

« Etre avec lui, l’écouter parler, le regarder travailler, l’aider dans la mesure de mes moyens. C’était comme de se promener dans une campagne où il y a partout de nouvelles sources qui jaillissent. »

Quelques avis :

Babelio Gambadou Antigone

Quelques planches:

Lu dans le cadre

Les bulles de la semaine sont chez Mokamilla.

British Mysteries·La bibli des p'tits chats (ados)·LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Les enquêtes d’Enola Holmes: le secret de l’éventail

J’avais laissé les enquêtes d’Enola Holmes de côté pour mieux les reprendre dans le cadre du R.A.T (Read A Thon) du Challenge British Mysteries.

Notre Enola poursuit son petit bonhomme de chemin, en évitant de tomber sur un de ses frères et en cherchant, sans relâche, sa mère.

Nous sommes en mai 1889, Enola se promène, sous le déguisement d’Ivy Meshle, secrétaire du Dr Ragostin, dans les rues de Londres et s’accorde une pause fraîcheur dans la dernière nouveauté londonienne : les toilettes publiques pour dames. Alors qu’elle se repose, elle assiste à une étrange scène impliquant la jeune Lady Cecily Alistair et deux cerbères féminins. Cecily, rencontrée lors de L’affaire Lady Alistair, semble en bien mauvaise posture. Comment communiquer avec elle ? Un accessoire inattendu devient instrument de communication entre les deux jeunes femmes, qui se sont reconnues : l’éventail que toute dame de qualité a avec elle lorsqu’il fait chaud (à ce propos, à la fin de l’épisode, dans les bonus, il y a un récapitulatif intéressant sur le langage des éventails.). Suite au fructueux échange silencieux, Enola tient sa nouvelle enquête : un éventail rose donné, discrètement par Cecily, enfermant un curieux message codé. C’est un SOS, Cecily est dans une situation plus que désagréable : elle est séquestrée afin de pouvoir être mariée contre son gré.

Commence alors une enquête prenante qui entraîne notre jeune détective dans les méandres des mariages forcés, de la violence faite aux femmes afin qu’elles ne puissent être maîtresses de leur destin. Elle devra surmonter quelques obstacles et non des moindres : les serres de son frère Mycroft, bien décidé à attraper la fugueuse, et les tentatives, pour qu’elle recouvre la raison, de son autre frère, le célèbre Sherlock Holmes enquêtant sur la même affaire qu’elle.

Ce que je trouve toujours aussi intéressant dans la série Bd réalisée par Serena Blasco, ce sont les sujets abordés, peu évidents parfois, dans chaque épisode. Entre les nouveautés telles que les toilettes publiques pour dames, la bataille acharnée menée par Enola pour décider de son destin, les mariages arrangés, et souvent forcés, toujours en vigueur au sein de la bonne société victorienne, et l’aperçu de l’exploitation de la misère du peuple et des enfants dans les orphelinat, le jeune lectorat a de quoi aiguiser son esprit critique et apprendre sur le quotidien d’une époque, pas si lointaine que cela, tel un pont vers l’exploitation contemporaine de la misère des peuples, toujours d’actualité.

Le graphisme est toujours aussi réussi et très coloré. Il permet à l’autrice de montrer combien le regard de Sherlock Holmes sur Enola change : il lui tient rigueur de sa fougue rebelle, de son refus des usages du monde, avec, et c’est nouveau, une pointe d’admiration pour sa force de caractère. Enola veut s’émanciper, ne dépendre de personne et surtout choisir ce qu’elle fera de sa vie. Une seconde nouveauté se fait jour : à l’issue de son enquête, Enola comprend les raisons qui ont amené sa mère à fuir et disparaître. Comme Enola, Lady Holmes veut mener sa vie comme elle l’entend. Aussi, Enola décidera-t-elle d’être moins obsédée par la recherche de sa mère afin de se concentrer sur son propre avenir. Tous ces événements font que je m’attache de plus en plus à Enola, jeune rebelle fougueuse et intrépide, féministe avant l’heure.

Quelques avis :

Babelio

Lu dans le cadre:

Et dans le cadre

Les bulles de la semaine sont à lire chez Noukette.

La bibli des p'tits chats (ados)·LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Les Quatre de Baker Street: le rossignol de Stepney

L’hiver s’achève, il faut bien le fêter avec des bulles hivernales. J’ai choisi de décliner le thème hivernal avec le troisième tome de la série « Les quatre de Baker Street ». J’ai retrouvé, avec plaisir, les petites mains de Sherlock Holmes, découvertes au fil des aventures du grand détective. La série créée par Jean-Blaise Djian, Olivier Legrand et le dessinateur David Etien met bien en valeur les gamins des rues, les trois francs-tireurs, que Sherlock utilise comme yeux et oreilles discrètes, qui apparaissent dans les romans de Conan Doyle.

Les jeunes héros, Billy, Black Tom et Charlie (ne pas oublier le chat Watson, toujours utile lors des bagarres), enfants livrés à eux-mêmes dans l’East End londonien, se voient confier une mission, secondaire, par leur mentor. L’enquête les emmène dans les bas-fonds de l’East End où règne une pègre cruelle et dangereuse. Ils doivent suivre les faits et gestes d’un jeune lord en vue qui passe ses soirées dans un cabaret de troisième zone. Il vient écouter une jeune fille à la voix de rossignol. Dans un Londres sous la neige, l’enquête s’avère être des plus ardues ce qui met nos quatre loustics dans des situations bien inconfortables qui virent rapidement au cauchemar car ils sont aux prises avec le cruel et sanguinaire Bloody Percy.

Entre racket, incendie, enlèvements, chantage et expédition dans un asile d’aliénés de Bedlam (les illustrations montrant la mère de Charlie la tête enfermée dans une cage sont glaçantes),les Quatre de Baker Street doivent solliciter le soutien du Docteur Watson, chroniqueur officiel des aventures de Sherlock Holmes. Nos héros possèdent plus d’un tour dans leur sac et useront d’ingéniosité pour sortir leurs deux protégés du mauvais pas dans lequel ils se sont mis.

« Le rossignol de Stepney » permet d’entrer un peu plus dans l’histoire personnelle des enfants et les liens qui les unissent, je me suis encore plus attachée à eux. C’est aussi une porte ouverte sur les relations sociales dans un Londres victorien, sur le monde sordide de la pègre londonienne, sur les complots ourdis par des aristocrates bien pensants (l’oncle du jeune Lord est en relation avec des truants). L’intrigue est intéressante et réserve quelques surprises. Quant aux illustrations, elles sont très colorées, agréables à l’oeil et surtout offrent des points de vue intéressants dans le déroulé de l’histoire. L’ambiance hivernale rajoute à l’atmosphère froide et glaçante du récit. Sous l’ouate neigeuse, la violence peut exploser à tout moment. La cruauté de Bloody Percy, le dandy du crime, est palpable dans chaque illustration où il apparaît.

Une troisième aventure des Quatre trépidante dans laquelle je me suis plongée avec bonheur.

Quelques avis :

Hérisson Lou Babelio

Lu dans le cadre

Les autres bulles de la semaine sont à découvrir chez Fanny.

LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Bran ruz

« Bran Ruz » est un roman graphique paru en épisodes de 1978 à 1981 dans la revue (A suivre). Il fut publié en album en 1981.

Au cours d’un fest-noz dans un village des Monts d’Arrée, deux chanteurs se lancent dans un « kan an diskan » (« chant et contre-chant », « chant et re-chant » ou « chant et déchant» est, en Bretagne, une technique de chant à danser a capella traditionnel et tuilé (plusieurs chanteurs chantent à tour de rôle, et que le chanteur qui prend la suite du premier répète les dernières syllabes du premier chanteur. Ainsi il n’y a jamais de pause dans la diction et le rythme, ce qui est particulièrement important pour les danseurs dans le cas de chants à danser.) en breton, pratiquée à deux ou plus. Ils racontent l’histoire de Bran Ruz (le corbeau rouge) et la légende de la ville d’Ys. Il y a des siècles, enfant, Bran attrape le roi des poissons qui lui promet d’exaucer tous ses vœux s’il le relâche. Plus tard, entré dans la ville, il va s’unir à Dahud, la belle, fille du roi Gradlon. Celui-ci ne peut accepter cette offense et va confier les amants à l’océan, ligotés dans une barque. Surveillés par des êtres mystérieux, ils vont s’échouer sains et saufs, et commencer un voyage dans l’Argoat, un retour aux sources du druidisme. De combats sanglants en épopées hurlantes, leur voyage s’achèvera dans la submersion d’Ys … tout comme s’achèvera le fest-noz.

Au cours du récit, le lecteur croise des personnages historiques tels le roi Gradlon, sa fille Dahud et le moine Corentin, et des personnages appartenant aux légendes celtes tels les korrigans, Cuchulainn, héros d’Irlande et Balor, roi des Fomoires. Il rencontrera également des opposants à la centrale de Brennilis qui ont participé aux affrontements de Plogoff.

Le dessinateur Claude Auclair, originaire de Nantes (pomme de discorde depuis toujours), est très sensible aux problèmes rencontrés par les défenseurs des cultures et langues minoritaires telles que le breton. Ainsi y a-t-il quelques pages doublées (les sépias en breton à gauche et en français à droite). Les auteurs relatent en mots et en images les origines de la Bretagne, sa culture, sa langue, ses légendes, ses héros et au-delà les grands mythes celtes. Pour Auclair, dessiner est une forme de combat pour la mémoire d’une Bretagne christianisée avec violence, souvent crainte au point d’être délaissée et méprisée. Entre 1978 et 1981 un pas immense sera effectué, un pas historique qui changera beaucoup de choses : la reconnaissance des langues régionales et la mise en place officielle de leur enseignement dans les écoles de la République, par le gouvernement de François Mitterrand.

Les auteurs soulignent d’une allusion les manifestations violentes de Plogoff en mettant en scène l’Ankou, non loin de la centrale de Brennilis. On ne peut s’empêcher de frissonner.

Les dessins sont réalisés à la plume et donnent, ainsi, une dimension épique au récit, rendent hommage à une caractéristique importante bretonne : son temps pluvieux et venteux. La pluie, le vent, les tempêtes sont au cœur des événements, ils sont le décor récurrent de l’histoire.

J’ai aimé les illustrations, qui ont bien vieilli, le rythme de la narration qui me faisait imaginer danser l’andro tout en lisant. La chaleur d’un fest-noz en parfaite osmose avec la pluie délavant la nuit.

J’ai aimé les femmes dessinée par Claude Auclair : dignes, puissantes, d’une force ensorcelante. Elles sont debout, elles portent haut leur fierté et leur histoire. Les puissants et les moines sont aussi dessinés de manière tranchée : ils expriment la haine d’une culture toujours enracinée chez les bretons, la haine envers un peuple qui ne se soumet pas facilement, la haine envers les femmes qui transmettent la culture, les croyances et les mythes. Cela peut sembler caricatural, cependant c’est dans la douleur et la violence que le christianisme a été implanté en Bretagne, comme dans nombre de régions.

« Bran Ruz » est l’histoire d’une légende, celle de la ville d’Ys, engloutie par l’océan, une grande histoire d’amour belle et tragique, l’histoire d’une région en lutte pour la reconnaissance de sa culture et de sa langue, C’est un souffle épique serpentant entre les mots de deux chanteurs donnant le la aux danseurs d’andro.

Textes bretons par Goulven Pennaod

Quelques avis :

Babelio

Lu dans le cadre

Les autres bulles de la semaine sont à découvrir chez Mokamilla.