Les classiques c'est fantastique·Littérature classique·Littérature française

Week-end à Zuydcoote

En octobre, les classiques c’est fantastique donnait le choix de lire soit un prix Nobel, soir un prix Goncourt. J’avais jeté mon dévolu sur un roman qui traînait depuis des années sur une étagère de ma bibliothèque, à cent pages de la fin je me suis aperçue que l’auteur n’avait jamais reçu le Nobel, ce qui est fort dommage. En catastrophe j’ai du choisir une autre lecture et c’est « Weekend à Zuydcoote » de Robert Merle qui a eu la préférence. Le roman paraît en 1949 et emporte le prix Goncourt de la même année.

Les armées allemandes ont contourné la Ligne Maginot pour déferler sur les armées alliées par la Belgique. De reculade en reculade, une grande partie des forces franco-britanniques se retrouvent acculées dans la poche de Dunkerque, dos à la mer, sans d’autres choix que ceux de se rendre ou de tenter une fuite vers l’Angleterre pour sauver ce qui peut l’être.

Dunkerque, Bray-dunes, Zuydcoote et leurs plages infinies, leur bord de mer agréable, joyeux, leurs villas somptueuses ou biscornues, les souvenirs de pêche à pied, de bains de mer quand le monde était encore insouciant. Maintenant, ces villes balnéaires sont devenues muettes et désertes dans l’attente d’un déferlement ennemi. On suit d’abord Maillat, un sergent français, et ses déambulations dans une ville morte, encombrée de véhicules inutiles. Il règne un étrange calme, un presque silence angoissant brisé par les explosions erratiques d’obus allemands et les raids aériens des stukas. Puis on fait connaissance avec ses compagnons d’infortune, Pierson, Alexandre, Dhéry puis Pinot et son fusil mitrailleur. Pendant deux jours, les quatre hommes vivront un quotidien chaotique avec un point de repère important : la popote, une ambulance transformée en bivouac et lieu de vie.

Robert Merle met en scène le quotidien, presque surréaliste, des soldats acculés sur les plages : entre les tâches ménagères et les rencontres macabres, entre des scènes hallucinantes telle que la répartition par nationalité des soldats sur les plages ou encore le ballet aérien des avions meurtriers semblant se délecter de l’attente insoutenable de la mort ou de la délivrance subie par les soldats, le lecteur est immergé dans la folie humaine. La tension du récit monte avec régularité, entre chaque focus sur un élément ordinaire. Arrive, ensuite, ce qui dévoile l’horreur permanente et amène chacun à vouloir quitter l’enfer d’un été balayé par l’invasion allemande : qui recherche des habits civils, qui espère pouvoir embarquer, qui se résigne à être un prisonnier en devenir. Le week-end est long, s’étire interminablement sous la plume extraordinaire de Robert Merle dont les personnages sont bien incarnés, et ancrés dans leur complexité d’être humains, au cœur du contexte historique dans lequel ils évoluent. La gouaille du sergent Maillat scande ses moments de faiblesse et des actes de courage, d’empathie et de solidarité … l’écriture de l’auteur fait que j’étais en immersion totale.

« Week-end à Zuydcoote » est le premier roman de Robert Merle et augure une maîtrise narratrice qui s’épanouira au fil de ses publications. Un classique de la littérature d’après-guerre qui vaut le détour.

Quelques avis:

Babelio Sens critique Patrice

Un extrait du film d’Henri Verneuil

Lu dans le cadre

Le bilan Prix Goncourt vs Prix Nobel chez Mokamilla

Les premières lignes·Littérature française

Les premières lignes #6

Sur une idée de Ma lecturothèque, chaque semaine je prends un livre dans ma bibliothèque et je recopie ses premières lignes.

Aujourd’hui, les premières lignes du roman d’Hubert Haddad « Premières neiges sur Pondichéry ».

Résumé

Violoniste virtuose, Hochéa Meintzel accepte l’invitation d’un festival de musique carnatique à Chennai, en Inde du Sud. Blessé dans sa chair par un attentat, c’est avec l’intention de ne plus revenir qu’il quitte Jérusalem. Après une équipée cahotante qui le mène de Pondichéry à la côte de Malabar, il trouve refuge à Fort Cochin, un soir de tempête, au sein de l’antique synagogue bleue. En un tour de force romanesque, Premières neiges sur Pondichéry nous plonge dans un univers sensoriel extrême, exubérant, heurté, entêtant, à travers le prisme d’un homme qui porte en lui toutes les musiques du monde, et accueille l’inexorable beauté de tous ses sens.  

Premières lignes

Madras la nuit – poix et goudron. L’air a une épaisseur d’huile. Une puissante odeur de putréfaction chargée de poussière et de cendres animales s’infiltre sous l’épiderme, dans la gorge et les bronches. A Jérusalem, pendant des années, chaque dimanche, il avait traversé un marché arabe sous un soleil nimbé d’étincelles. Les crieurs d’agrumes le saluaient. La foule s’ouvrait avec des froissements d’étoffe. Les éclats de voix se répondaient, proches et lointaines. On s’apostrophait du fond du temps. On plaisantait et riait d’un étage à l’autre de la tour de Babel. C’était avant la multiplication des attentats, avant le mur. Yitzhak Rabin n’avait pas encore été assassiné par un juif orthodoxe. On pouvait espérer un règlement pacifique du conflit. Certains jours de fête, les voix dans les rues se mêlaient avec une espèce d’harmonie. L’hébreu et l’arabe, le yiddish, le copte ou l’arménien, les langues tissaient ensemble de vieilles connivences.

Alors tenté(e)?

En sortir 23 pour 2023·Littérature française

L’échappée

Après « Kinderzimmer », qui avait été une lecture choc pour moi, puis « Murène », lecture également très forte et prenante, j’ai sorti de ma bibliothèque « L’échappée ». Le sujet du roman est également difficile dans le sens où Valentine Goby s’empare d’un fait historique peu glorieux de la Libération, celui des femmes tondues. Tout le monde connaît la photo poignante de la « tondue de Chartres », résumant à elle seule le calvaire subi par des milliers de femmes dont la seule erreur fut de tomber amoureuse d’un soldat ennemi.

Madeleine est une jeune paysanne bretonne partie gagner sa croûte dans un hôtel rennais réquisitionné par les occupants allemands. Elle s’ingénie à n’être qu’une ombre parmi les ombres, suivant ainsi les conseils de sa mère. Elle a une amie du village, Jeanne, qui travaille dans le même hôtel qu’elle, un amoureux, Antoine, qu’elle rencontre en catimini sur la route de Rennes quand elle retourne travailler. Madeleine à tout juste seize ans et la vie devant elle. Elle rêve de quitter les sillons bien rangés des champs du village, de quitter la grisaille d’une vie sous l’Occupation, de voir un jour le bleu de la mer. Un soir, elle rate le couvre-feu et se fait arrêter par une patrouille non loin de l’hôtel. Alors qu’elle pense que sa dernière heure est arrivée, un officier allemand la tire d’embarras, après avoir discrètement percé un pneu du vélo, en expliquant qu’elle se trouve dehors après le couvre-feu en raison d’une crevaison. Cette rencontre avec Joseph Schimmer changera à jamais le cours de sa vie. Elle deviendra la tourneuse de page de ce musicien ainsi que son amante, il lui fera découvrir la puissance esthétique de la musique. Madeleine et Joseph s’aiment clandestinement, leur amour est condamné d’avance, l’Occupation pipant les dés.

Le temps passe, un bébé grandit dans le ventre de la jeune fille au grand désarroi de sa famille. Ses parents l’enverront dans un couvent pour qu’elle mette au monde, loin du regard des hommes, le fruit de son péché. Elle avait seize ans et la vie devant elle. La marche de l’Histoire fera d’elle une paria que les résistants de la dernière heure tondront en l’insultant, en la molestant et en lui tatouant une croix gammée sous un sein. Madeleine fuit sa Bretagne natale pour oublier, si tant est qu’elle puisse oublier, et continuer à vivre, même sans rêve, avec sa fille Anne. Ce ne sera que l’errance. Anne sait que son père était un soldat allemand et revendique, avec provocation et fierté, son statut d’enfant de la honte. Leur fuite perpétuelle les mènera dans le sud de la France puis à Saint-Nazaire, départ des paquebots à destination des Etats-Unis. Elles embarqueront sur le « Liberté » …. une liberté qui s’offrira peu à peu à chacune d’elle.

« L’échappée » est un roman d’amour et d’amours, un roman sur la destinée tragique et la quête d’identité et de liberté. Parvient-on à oublier le poids du passé pour vivre son avenir ? La liberté dépend-t-elle du pas de côté de tout un chacun peut faire ? Est-ce un crime que d’avoir aimé un soldat ennemi, un pianiste qui n’avait pas demandé à conquérir l’Europe au nom d’Hitler ? Est-ce un crime d’avoir eu seize ans sous l’Occupation et d’avoir succombé au charme d’un homme que l’Histoire a placé du mauvais côté de la ligne ? Madeleine et Anne forgeront, à leur rythme et leur manière, les étapes de leur quête afin de trouver leur place dans un monde qui ne leur a pas fait de cadeau.

Valentine Goby met, aussi, en scène, des secrets de famille, des rencontres essentielles, des moments tragiques d’une force poignante. L’histoire de Madeleine est celle de ces femmes anonymes dont le poids de la faute et de l’infamie, que la cruauté des hommes a marqué à jamais. Dans la souffrance vécue dans sa chair, Madeleine verra poindre, inattendue, l’espérance. Ce qui rend plus beau le texte, c’est la plume nerveuse et parfois dure de l’autrice, c’est son regard presque clinique sur les événements, en balayant toute tendresse puis en renouant avec elle au fil du récit. La mièvrerie et la dramatisation à outrance sont évitées avec brio et maîtrise : j’ai accompagné Madeleine, d’abord en simple spectatrice détachée du personnage puis, peu à peu, j’ai senti que la tendresse enveloppait le récit et les cicatrices des personnages.

Quelques avis :

Babelio Sens Critique Hugues Clarabel Abigail

Lu dans le cadre

Les premières lignes·Littérature française

Les premières lignes #5

Sur une idée de Ma lecturothèque, chaque semaine je prends un livre dans ma bibliothèque et je recopie ses premières lignes.

Aujourd’hui, les premières lignes du roman d’Aline Kiner « La nuit des béguines ».

Résumé

Paris, 1310, quartier du Marais. Au grand béguinage royal, elles sont des centaines de femmes à vivre, étudier ou travailler comme bon leur semble. Refusant le mariage comme le cloître, les béguines forment une communauté inclassable, mi-religieuse mi-laïque. La vieille Ysabel, qui connaît tous les secrets des plantes et des âmes, veille sur les lieux. Mais l’arrivée d’une jeune inconnue trouble leur quiétude. Mutique, rebelle, Maheut la Rousse fuit des noces imposées et la traque d’un inquiétant franciscain… Alors que le spectre de l’hérésie hante royaume, qu’on s’acharne contre les Templiers et qu’en place de Grève on brûle l’une des leurs pour un manuscrit interdit, les Béguines de Paris vont devoir se battre.

Premières lignes

1er juin 1310

N’était le silence, on pourrait croire que c’est jour de fête. Il y a foule, place de Grève, ce lundi précédant l’Ascension. Tous les habitants de la cité. Les marchands et les commis, les bourgeois et les artisans, les écoliers et les clercs, les ribaudes, les sans-feu, les gagne-deniers et les manoeuvres venus louer leurs bras sur le port. La chaleur des corps pressés, leur odeur. Peaux crasseuses, souffles corrompus, mêlant leurs exhalaisons aux remugles venus de la rue des tanneurs et parfum fangeux du fleuve. Dans les embrasures des belles demeures qui entourent la place se tiennent, debout, les dames et les gentilhommes vêtus de couleurs vives.

Les appels et les cris, les chants de force des bateliers et des portefaix se sont tus en une longue vague refluante. Derrière la rumeur de la piétaille, on ne perçoit que le claquement du bois sur la pierre – les bateaux heurtant leur panse contre la grève – et le clapot de l’eau, menu, pressé.

Tous ont les yeux rivés sur le centre de la place, où se dresse un bûcher presque semblable à ceux qu’on élève en ce même endroit pour les fêtes de carnaval et de la Saint-Jean. Mais au lieu des masques dansants et des jeunes apprentis bondissant par-dessus les flammes, c’est une femme que l’on voit grimper sur ce bûcher, pieds nus à même les fagots, cheveux noirs et longue chemise plaqués au corps.

Alors, tenté(e)?

Le jeudi, c'est poésie·Littérature coréenne·Poésie

Le troisième jeudi, c’est poésie #2

Après un extrait du recueil « Les amours jaunes » de Tristan Corbière, j’ai choisi de vous faire lire un poème coréen extrait du recueil « Fleurs d’azalée » de Kim So-wol, poète représentatif de la période d’occupation japonaise. Il a vécu une courte vie (1902-1934), semée d’embûches, et ce recueil est son unique production poétique.

« Lorsque, agacé de me voir,
Vous me quitterez,
Sans un mot, doucement, je me résignerai à vous laisser partir.
Les fleurs d’azalée
Du mont Yak à Yeongbyeon
Je me résignerai à les répandre à pleines brassées, sur le chemin que vous prendrez.
À chacun de vos pas,
S’il vous plaît, partez en foulant légèrement
Ces fleurs éparses. »
Poème dans la traduction de Mme Kim Hyeon-ju et M. Mesini

« 나 보기가 역겨워
가실 때에는
말없이 고이 보내 드리우리다.
영변에 약산
진달래꽃
아름따다 가실 길에 뿌리우리다.
가시는 걸음 걸음
놓인 그 꽃을
사뿐히 즈려 밟고 가시옵소서. »
— Poème dans la langue originale

Les premières lignes·Littérature française·Science Fiction

Les premières lignes #4

Sur une idée de Ma lecturothèque, chaque semaine je prends un livre dans ma bibliothèque et je recopie ses premières lignes.

Aujourd’hui, les premières lignes du premier tome de « Les ours de la forêt bretonne », premier roman de mon amie Clémence Le Goff.

Résumé

Anne Gautier, jeune thésarde habituée aux succès universitaires, tente de se remettre d’une grave dépression en se réfugiant dans le hameau de son enfance, au coeur de la Bretagne. Quand la pandémie se déclare, elle se confine en compagnie d’un chat qui s’est installé chez elle. Dans le potager qu’elle cultive pour passer le temps, un os attire un jour son attention. Alors qu’elle se penche pour le ramasser, elle se retrouve projetée dans un monde aux villes inexistantes et aux forêts peuplées d’ours. Elle y fera la rencontre de la Dame, de ses filles et de son fils François, auxquels l’attachent de liens dont la découverte bouleversera sa vie et changera le monde.

Premières lignes

Je ne voulais plus évoquer son nom, ni même son image. C’était un salaud intégral. Je ne voulais plus. Et pourtant, il s’imposait régulièrement à moi. Ce devait être la fatigue. J’étais vraiment très fatiguée, depuis que nous avions rompu. Le sommeil me fuyait. Des cauchemars récurrents me dressaient assise dans mon lit, en nage, quasiment toutes les nuits. Il y avait son visage, dont je connaissais par coeur la moindre ridule, la plus petite imperfection, cette plage glabre entre ses deux sourcils fournis, le creux dans sa barbe, là où une cicatrice empêchait la pousse des poils. Ce visage se déformait, la peau se tirait, dessinait des reliefs; les orbites se vidaient dans un flot de matières aqueuses qui me dégoulinaient dessus, tandis qu’un hurlement strident me perçait les tympans. C’est là que je m’éveillais. Mon cerveau fuyait cette horreur en s’offrant un ticket retour vers la réalité.

A vrai dire, ce n’était pas mon seul cauchemar. Je savais qu’il y en avait d’autres, précédant celui-là. Quelque chose me disait que, si je parvenais à en attraper quelques bribes, à reconstituer le fil qui hantait mes nuits, je m’en sortirais. Je n’en avais pas parlé au psychiatre, ni à la psychologue. Je n’aimais pas ces gens-là, considérant qu’il faut être soi-même particulièrement tordu pour choisir ce type de métier. J’avais hérité cette phobie des psys de ma mère et m’y raccrochais comme à tout ce qui me restait d’elle.

Alors, tenté(e)?

Littérature française

J’ai 8 ans et je m’appelle Jean Rochefort

La rentrée littéraire réserve souvent de belles surprises, «J’ai 8 ans et je m’appelle Jean Rochefort » d’Adèle Fugère en fait partie. Ce court roman est une vraie pépite.

Rosalie a huit ans, elle passe pour la rigolote de service mais au fond d’elle, un poids énorme l’empêche souvent de respirer, même de rire. Elle a ses moments sombres qui lui gâchent la vie, qui lui apportent des pensées mortifères. Rosalie est très proche de son Papy qui la comprend sans qu’il y ait besoin de grands discours, il lui apprend des tas de choses intéressantes et des expressions désuètes telles que « c’est sensass ». Elle a un camarade de classe, Simon, un peu différent des autres, il ne parle pas beaucoup, il est là, tout simplement là. Un matin, Rosalie se réveille avec une gêne au-dessus des lèvres, elle monte sur le rehausseur de la salle de bain et dans la glace s’aperçoit qu’elle porte une moustache. Elle descend prendre son petit-déjeuner et annonce à sa mère qu’elle ne s’appelle plus Rosalie mais Jean Rochefort. A partir de là, Rosalie/Jean ose dire les choses, se libère et constate que son « cortex la laisse tranquille ». On peut même dire que cette moustache changera son regard sur le monde. Rosalie/Jean vivra quelques péripéties à ne pas piquer des hannetons, péripéties relatées avec humour parfois décalé … ce qui donne tout son sel au récit.

Adèle Fugère aborde, avec «J’ai 8 ans et je m’appelle Jean Rochefort » un tabou sur lequel, depuis quelques temps, on lève le voile : le mal-être des enfants. Le confinement a certainement été un élément déclencheur pour libérer la parole autour de la dépression enfantine. On comprend que Rosalie est très entourée par ses parents et son grand-père, qu’elle a été suivie par un pédopsychiatre, que tout est fait pour qu’elle se sente mieux voire bien. D’ailleurs, la réaction de la maman lorsque Rosalie déclare qu’elle s’appellera désormais Jean est parlante : une fois la surprise passée, elle accepte le changement pour que Rosalie, devenue Jean, aille mieux. Si devenir Jean permet à Rosalie d’être mieux, alors allons-y pour Jean. C’est ce qui est merveilleux dans le roman, on ne juge pas, on accepte et on joue le jeu pour le bien de la jeune héroïne. Le récit, également, s’adapte puisque lorsque Rosalie devient Jean, l’autrice troque le pronom « elle » pour le « il ».

La dépression enfantine est traitée avec humour mettant de côté le pathos inutile pour permettre à l’intrigue d’aller jusqu’au dénouement.

Bien entendu, les références aux films et à la carrière de Jean Rochefort se glissent à chaque page, de manière explicite ou implicite. Toujours est-il que c’est un régal à décrypter et à savourer. Au point qu’à un moment, lors de ma lecture, je me suis dit, Jean Rochefort … est toujours parmi nous, non ? Hélas, non, il a rejoint les étoiles depuis 2017 et pourtant quand on l’évoque, on a l’impression extraordinaire qu’il est présent sur scène.

« J’ai 8 ans et je m’appelle Jean Rochefort » est un roman que l’on a envie de lire et relire pour débusquer les ombres de Jean Rochefort, apprécier le rythme du récit, retrouver avec tendresse Rosalie et ses indignations justes et salvatrices. J’ai eu, tout le temps, envie de le lire à haute voix tant le texte est pétillant, drôle et tendre.

Une très belle découverte.

Quelques avis :

Babelio Buchet-Chastel

Les premières lignes·Littérature française·Poésie

Les premières lignes #3

Sur une idée de Ma lecturothèque, chaque semaine je prends un livre dans ma bibliothèque et je recopie ses premières lignes.

Aujourd’hui, les premières lignes d’un recueil de Christian Bobin « La nuit du coeur ». Un texte puissant, poétique et d’une grande beauté.

Résumé

Il n’y a pas d’autre raison de vivre que de regarder, de tous ses yeux et de toute son enfance, cette vie qui passe et nous ignore.

Premières lignes

La chambre numéro 14 de l’hôtel Sainte Foy à Conches est percée de deux fenêtres dont l’une donne sur un flanc de l’abbatiale. C’est dans cette chambre, se glissant par la fenêtre la plus proche du grand lit, que dans la nuit du mercredi 26 juillet 2017 un ange est venu me fermer les yeux pour me donner à voir.

Dans l’abbatiale, on donnait un concert. Je regardais la nuit d’été par la fenêtre, ce drapé d’étoiles et de noir. Un livre m’attendait sur la table de chevet. Mon projet était d’en lire une dizaine de pages, puis de glisser mon âme sous la couverture délicieusement fraîche de la Voie lactée.

Mais.

Mais en me penchant pour fermer les volets de bois, je vis les vitraux jaunis devenir plus fins que du papier et s’envoler. Le plomb, le verre et l’acier qui les composaient, plus légers que l’air, n’étaient plus que jeux d’abeilles, miel pour les yeux qui sont à l’intérieur des yeux. Des lanternes japonaises flottant sur le noir, épelant le nom des morts. A cette vue je connus l’inquiétude apaisante que donne un premier amour.

Alors, tenté(e)?

British Mysteries·Côté polar·Littérature anglaise

Agatha Raisin: vacances tous risques

J’avais laissé Agatha Raisin effondrée et désespérée après la rupture et la fuite de James suite au mariage gâché par le retour d’un Mr Raisin qui ne fit pas long feu. Comme l’opus « Vacances tous risques » était emprunté au moment où j’ai souhaité le lire, je me suis rabattue sur le suivant « Coiffeur pour dames » qui ne m’avait pas plus convaincue que cela. Enfin, j’ai pu lire « Vacances tous risques » et ….

Agatha, égale à elle-même, décide de ne pas se morfondre chez elle et part à Chypre où elle devait passer sa lune de miel avec James : elle a une idée en tête, le reconquérir. Elle le retrouve parmi une bande de touristes anglais des plus mal assortis. Qui dit Agatha dans les parages dit crime à résoudre En effet, une des touristes anglaises, la provoquante et séductrice un brin vulgaire Rose est assassinée au cours d’une soirée en boîte de nuit. Le duo James-Agatha reprend du service mais sans l’énergie et l’humour qui le caractérisent. James est, dans cet épisode, très soupe-au-lait et utilise chaque quiproquo pour prendre en défaut Agatha.

Agatha, la guerrière, la battante, a oublié une partie de son âme chez elle dans les Cotswolds. Elle se laisse séduire par un baronnet, au flegme fantasque, Charles, croisé lors d’une « Randonnée mortelle ». Son égarement est compréhensible car James la délaisse alors que Charles la prend en charge et la défend face au groupe de touristes anglais devenu acerbe.

Et James, dans tout cela ? Il semble plus préoccupé par l’attitude de son ancienne ordonnance turque qui aurait mal tourné que par la peur immense d’Agatha depuis que par deux fois on a attenté à sa vie. La froideur, l’apparente volonté de James à croire les rumeurs sur sa compagne, ne donnent pas une belle image du James habituel. Malgré cela, Agatha n’en devient que plus éprise alors qu’elle pourrait, enfin, cesser de courir après un homme qui n’est pas plus amoureux que cela d’elle.

L’inspecteur Pamir est un personnage intéressant qui aime titiller ces Anglais. Il aurait pu l’être encore plus si l’auteur n’en avait pas fait une caricature d’officier police post colonial.

Je ne sais pas à quoi joue l’autrice M.C Beaton avec son personnage principal, Agatha Raisin, quand elle la fait mettre collants et maquillage en pleine canicule. Est-ce pour ridiculiser le jeu du chat et de la souris dans lequel s’englue Agatha ? Je peux comprendre qu’un auteur veuille, de temps à autre, malmener son héroïne, mais là, le trait est grossier. Même si Agatha est agaçante, elle ne mérite pas de l’être autant que dans cet épisode. Oui, elle a cinquante ans, oui, elle a des rondeurs, oui, elle court après un idéal masculin qui ne le lui rend pas vraiment bien, oui, on peut rire de ses sautes d’humeur … et non elle ne mérite pas ce degré de grotesque presque inconvenant.

Quant aux descriptions des curiosités chypriotes, même si elles ont un côté instructif, elles m’ont donné la désagréable impression de remplir les vides de l’intrigue.

J’ai passé un moment sympathique et pourtant je suis restée sur ma faim.

Traduit de l’anglais par Marion Chesney

Quelques avis

Babelio Bepolar Les lectures de Lily

Lu dans le cadre

chatperlipopette's chat-lon·Les premières lignes

Premières lignes #2

Sur une idée de Ma lecturothèque, chaque semaine je prends un livre dans ma bibliothèque et je recopie ses premières lignes.

Aujourd’hui, les premières lignes d’un roman italien, absolument délirant, « La fête du siècle » de Niccolo Ammaniti.

Résumé

« Toute la Rome VIP se rue Villa Ada à la soirée d’un pape de l’immobilier. Dans ce défilé d’égos botoxés, Fabrizio Ciba, écrivain vedette en panne sèche d’écriture, la pop star Larita et un invité surprise: la secte des Enragés d’Abaddon, quatre pieds nickelés satanistes en mal de célébrité. Très vite, l’orgie vire au safari apocalyptique et l’illusion tombe… »

Les premières lignes

Attablés à la pizzeria Jerry 2 d’Oriolo Romano, les Enragés d’Abaddon tenaient réunion.

Leur leader, Saverio Moneta dit Mantos, était inquiet. L’heure était grave. S’il ne parvenait pas à reprendre en main la secte, cela risquait d’être le dernier rassemblement des Enragés.

L’hémorragie avait commencé quelques temps auparavant. Le premier à les quitter avait été Paolino Scialdone dit Le Faucheur. Sans un mot, il les avait largués et était entré chez les Fils de l’Apocalypse, un groupe sataniste de Pavie. Deux ou trois semaines plus tard, Antonello Agnese dit Molten s’était acheté une Harley Davidson d’occase et avait rejoint les Hell’s Angels de Subiaco. Et pour finir, Pietro Fauci dit Nosferatu, bras droit de Mantos et fondateur historique des Enragés, s’était marié et avait ouvert une boîte de plomberie-chauffagerie à l’Abetone.

Ils n’étaient plus que quatre.

Il lui fallait tenir un discours très sérieux, les faire filer droit et recruter de nouveaux adeptes.

-Mantos, tu prends quoi? lui demanda Silvietta, la vestale du groupe. Une rouquine maigrichonne, aux yeux ronds et proéminents sous des sourcils minces placés trop haut sur le front. Dans une narine et au centre de la lèvre inférieure, elle avait un anneau argenté.

Saviero jeta un coup d’oeil distrait au menu.

-Voyons voir … Des spaghettis à la marinara? Non, vaut mieux pas, l’ail me reste sur l’estomac … Allez, va pour les pappardelle.

-Les font sans chichis, mais elles sont bonnes! approuva Roberto Morsillo dit Murder, un gros lard de presque deux mètres, aux cheveux longs teints en noir et aux binocles graisseuses. Il portait un T-shirt effilochés des Slayers. Originaire de Sutri, il étudiait le droit à Rome et travaillait au Bricocenter de Vetralla.

Saverio examina ses disciples. Bien qu’ils aient dépassé la trentaine, ils s’habillaient encore comme une bande de hardos ringards. Dire qu’il ne cessait de leur recommander: « Faites gaffe. Vous devez passer pour des gens normaux, virez-moi ces piercings, ces tatouages, ces putains de clous partout … » Mais il n’y avait pas moyen.

C’est ça ou rien, pensa-t-il, résigné.

Alors …. tenté(e)s?