Littérature classique·Les classiques c'est fantastique·Littérature chinoise

La cage entrebâillée

Les classiques, c’est fantastique emmenait les participants en Asie, explorer les classiques d’une littérature parfois méconnue. J’en ai profité pour renouer avec la lecture d’un auteur chinois, que j’avais découvert avec « Quatre générations sous un même toit » puis appris à apprécier sa plume avec « Histoire de ma vie » et « Le tireur de pousse », Lao She dont le roman « La cage entrebâillée » attendait depuis plusieurs années, sur une des étagères de ma bibliothèque, que je le choisisse enfin !

Années 1930 à Pékin un mot est sur toutes les bouches : divorce. Une nouvelle législation voit le jour et dans un pays où les mariages ne sont qu’arrangés, certains aimeraient se passer des entremetteurs pour choisir eux-mêmes leur futur conjoint. Cette loi promulgue l’égalité entre les hommes et les femmes, donnant la possibilité à ces dernières de demander le divorce. Lao Li, fonctionnaire au ministère des finances, sur les conseils de son collègue Zhang Dage, célèbre pour l’organisation de rencontres maritales portant leurs fruits, fait venir sa femme et ses enfants auprès de lui, à Pékin. Lao Li, très vite, regrette sa décision car son épouse est loin d’être au fait des manières pékinoises. Il craint qu’elle ne lui fasse honte devant ses collègues de bureau, qu’elle remarque que la bru de leur voisine (qui leur loue la maisonnette en face de la sienne) l’attire par sa taille élancée, sa réserve et sa grâce naturelle ; Mme Li est une campagnarde au franc parler, à la voix forte, un tantinet gouailleuse et à la vêture grossière de la campagne. Heureusement que Zhang Dage ne sait pas que Lao Li a tendance à la rêverie poétique et aimerait enfin rencontrer l’amour, le véritable amour avec une femme ayant les mêmes aspirations que lui, Zhang qui a à cœur que les unions arrangées qu’il a concrétisées durent dans le temps. Or, dans les bureaux du ministère des finances, les fonctionnaires ne parlent plus que de divorce, d’infidélités, de replacement d’épouse. Dans ce concert de coqs en mal d’esbrouffe, Xiao Zhao, homme fat, imbu de lui-même et détestable au plus haut point, expert dans l’art de la manipulation, amant de la femme du directeur du service, célèbre pour ses conquêtes et sa vie de célibataire, fomente nombre de complots en coulisses.

Tout en explorant le thème du divorce encore tabou dans la Chine des années Trente, Lao She dresse un tableau haut en couleurs, incisif et extrêmement drôle d’une société particulière, celle des petits fonctionnaires. Qu’ils peuvent être cruels, médisants, odieux et mesquins ! Que leurs commérages et intrigues peuvent être misérables, presque minables tout cela pour obtenir des miettes de privilèges. Lao Li tente, de son mieux, de rester en dehors des minuscules révolutions de palais, d’ignorer le mépris que Zhao ressent pour tout ceux qui ne sont pas à sa botte, de passer outre aux rodomontades de ses collègues. Il n’appartient à aucune coterie, il est maltraité par Zhao car il ne répond jamais à ses attaques. Lao Li n’aurait-il aucun répondant ? Non, seulement dépassé par tant d’hypocrisie, de jalousie maladive, de médisance, lui qui n’aspire qu’à contempler la beauté du monde. Est-il désintéressé ou un velléitaire qui s’ignore ? Disons que Lao Li est un homme dont les nuances de caractère peuvent agacer, cependant il doit composer avec l’évolution de la société chinoise, enfin surtout pékinoise, devant un mode de vie qui s’achève pour s’effacer et laisser place aux idées nouvelles apportées par le communisme et Mao.

La corruption est inhérente à l’administration et ce depuis que la Chine est la Chine, tribale ou impériale, elle s’insinue dans le moindre recoin de la vie sociale. La corruption va de pair avec les rumeurs lancées sur une personne : ainsi Zhang Dage se voit déconsidéré du jour au lendemain suite à l’arrestation et incarcération de son fils par les forces de l’ordre. En un clin d’oeil, son entourage se raréfie, les portes se ferment au point que Zhang en est réduit à rester enfermé chez lui, honteux, et à graisser des pattes à n’en plus finir pour obtenir sa libération : titres de propriété et main de sa fille unique tombent dans l’escarcelle de l’ignoble Xiao Zhao, homme dénué de sens moral et religieux, dénué de principe et imperméable à toute doctrine politique, et surtout dénué de toute conscience. Lao She m’a régalée de sa verve tant il se plaît à faire vivre le côté trivial de la langue chinoise riche en expressions salaces. Je comprends que cela puisse heurter le lectorat occidental. Il n’épargne rien ni personne dans son roman, il souligne chaque travers de ses contemporains, chaque manquement, chaque fêlure d’une société à l’aube d’un grand bouleversement politique et culturel. « La cage entrebâillée » est un chant du cygne d’une Chine au bord de l’effondrement, un chant alliant tendresse, ironie, tristesse et humour. Une lecture réjouissante, amusante avec des personnages irrésistibles de drôlerie ou détestables au point de n’éprouver aucune empathie pour eux. La lecture est souvent jubilatoire grâce à la facétie et l’art de la satire de Lao She.

Traduit du chinois par Paul Bady et zi-hua Li

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Le récapitulatif est chez Fanny.