Les premières lignes·Littérature canadienne

Les premières lignes #11

Sur une idée de Ma lecturothèque, chaque semaine je prends un livre dans ma bibliothèque et je recopie ses premières lignes.

Aujourd’hui, les premières lignes d’un roman qui me fait de l’oeil depuis près de deux ans, au point que j’en ai fait ma dernière lecture de l’année 2023. Il s’agit du roman de Michael Christie « Lorsque le dernier arbre ».

Dans ce roman aux accents douloureux d’une canopée en voie de disparition, Michael Christie montre combien les arbres sont d’une importance vitale pour la vie sur Terre et combien l’homme est passé maître dans l’art de détruire son environnement.

Résumé

« Le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s’accumule, c’est tout – dans le corps, dans le monde -, comme le bois. Couche après couche. Claire, puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d’avant. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure. »
D’un futur proche aux années 1930, Michael Christie bâtit, à la manière d’un architecte, la généalogie d’une famille au destin assombri par les secrets et intimement lié à celui des forêts.
2038. Les vagues épidémiques du Grand Dépérissement ont décimé tous les arbres et transformé la planète en désert de poussière. L’un des derniers refuges est une île boisée au large de la Colombie-Britannique, qui accueille des touristes fortunés venus admirer l’ultime forêt primaire. Jacinda y travaille comme de guide, sans véritable espoir d’un avenir meilleur. Jusqu’au jour où un ami lui apprend qu’elle serait la descendante de Harris Greenwood, un magnat du bois à la réputation sulfureuse. Commence alors un récit foisonnant et protéiforme dont les ramifications insoupçonnées font écho aux événements, aux drames et aux bouleversements qui ont façonné notre monde. Que nous restera-t-il lorsque le dernier arbre aura été abattu ?

Les premières lignes

2038 … La Cathédrale arboricole de Greenwood

Ils viennent pour les arbres.

Pour respirer leurs aiguilles. Caresser leur écorce. Se régénérer l’ombre vertigineuse de leur majesté. Se recueillir dans le sanctuaire de leur feuillage et prier leurs âmes millénaires.

Depuis les villes asphyxiées de poussière aux quatre coins de globe, ils s’aventurent jusqu’à ce complexe arboricole de luxe – une île boisée du Pacifique, au large de la Colombie-Britannique – pour être transformés, réparés, reconnectés. Pour se rappeler que le coeur vert jadis tonitruant de la Terre n’a pas cessé de battre, que l’âme du vivant n’a pas encore été réduite en poussière, qu’il n’est pas trop tard, que tout n’est pas perdu. Ils viennent ici, à la Cathédrale arboricole de Greenwood, pour gober ce scandaleux mensonge, et le travail de Jake Greenwood, en tant que guide forestière, consiste à le leur servir prémâché.

Alors, tenté(e)?

British Mysteries·Côté polar·Littérature australienne

Les thés meurtriers d’Oxford 1: Chou à la crim’

C’est Michel, alias Serial Lecteur, qui m’a fait découvrir cette nouvelle série de Cosy mysteries. J’avoue avoir eu un peu peur de me lancer car j’avais été échaudée par le premier tome de la série « Petits meurtres à l’heure du thé ». Dès les premières lignes j’ai été emportée par l’histoire et les personnages.

Gemma a quitté son emploi confortable en Australie pour rentrer à Oxford ouvrir un salon de thé traditionnel, nous sommes à Oxford quand même, aidée par sa meilleure amie d’enfance, Cassie, artiste peintre en devenir, et un cuistot particulier. Pour réaliser ce rêve, Gemma a investi toutes ses économies et est contrainte de vivre chez ses parents. Pas folichon, n’est-ce pas, quand on a pris goût à l’indépendance. Tout se passe pour le mieux, malgré quelque difficultés, jusqu’au jour où un touriste américain est retrouvé, assassiné à la terrasse du salon de thé. L’horreur commence pour Gemma quand les clients désertent le salon, persuadés par les médias avides de sensationnel que le touriste a été empoisonné par les scones de Gemma.

Cette dernière refuse de se laisser abattre et tente de résoudre le mystère afin de recouvrer son honneur de pâtissière. Entre les vieilles commères du quartier, qui se mêlent de tout ce qui ne les regarde pas, son béguin d’université devenu inspecteur de police et la chatte polissonne de son chef pâtissier, terreur de la clientèle par son caractère vif et aiguisé (la chatte pas le pâtissier), les sermons de sa mère dont l’obsession est de la marier, Gemma se retrouve mêler à une enquête qui la conduira à l’université d’Oxford, où elle a été étudiante. Elle se doit de découvrir le coupable afin que ses affaires reprennent et éviter la banqueroute d’autant plus que la liste des victimes s’allonge.

« Les thés meurtriers d’Oxford » ont tout pour plaire : des personnages attachants ou agaçants, un quatuor de vieilles dames un tantinet pénibles, une héroïne que j’ai adoptée tout de suite car bien incarnée dans l’histoire, une toile de fond mythique avec l’Université d’Oxford, ses multiples Collèges, ses professeurs en tenue, son prestige intellectuel et culturel, une mère snob mais au fond sympathique, reine de l’achat en ligne, un bel inspecteur du CDI (division des enquêtes criminelles).

On sait que les anciens amoureux, Gemma et l’inspecteur Devlin, éprouvent toujours des sentiments l’un envers l’autre, on sait qu’il y aura un jeu du chat et de la souris ce qui n’empêche pas de se laisser porter par le mystère.

L’autrice H.Y Hannah réussit, de manière exquise, à faire évoluer ses personnages sans qu’ils se couvrent de ridicule, elle sait instaurer une atmosphère particulière aussi bien dans le salon de thé très cosy qu’au cœur de l’Université et de la vieille ville. L’humour so british est présent ainsi que tous les éléments d’un cosy mystery agréable à lire. La situation amoureuse de Gemma n’est pas ampoulée ni grossièrement plaquée au récit, elle est toujours attirée par son ancien amour, elle s’en défend autant qu’elle peut. Notre héroïne peut être un brin naïve sans pour autant être fade.

« Les thés meurtriers d’Oxford : chou à la crim’ » est une lecture, certes sans prétention, qui se savoure avec délice entre une tasse de thé anglais et quelques scones. J’ai été conquise, tout simplement.

Traduit de l’anglais par Diane Garo

Quelques avis :

BabelioLivraddictMuffinsandbooks  BepolarALittleBitBooks Tea PieLa Belette

   

La bibli des p'tits chats·Le jeudi, c'est poésie·Littérature française·Poésie

Le troisième jeudi, c’est poésie #4

Exceptionnellement, je poste mon poème du mois le quatrième jeudi, la semaine dernière fut très chargée et fatigante. J’ai choisi un auteur que j’apprécie beaucoup, cantonné depuis longtemps dans la catégorie poète pour écoliers, Maurice Carême. Il est né à Wavre le 12 mai 1899 et décédé à Anderlecht le 13 janvier 1978. Il est vrai que j’aime beaucoup apprendre ses poèmes à mes petits élèves. Aujourd’hui un poème hivernal.

Il a neigé

Il a neigé dans l’aube rose

Si doucement neigé

Que le chaton noir croit rêver.

C’est à peine s’il ose

Marcher.

Il a neigé dans l’aube rose

Si doucement neigé

Que les choses

Semblent avoir changé.

Et le chaton noir n’ose

S’aventurer dans le verger.

Se sentant soudain étranger

A cette blancheur où se posent,

Comme pour le narguer,

Des moineaux effrontés

Littérature française·Roman graphique/BD

Chagall en Russie, T1 et T2

Je ne suis pas une grande lectrice de BD, aussi lorsque j’ai vu, à la médiathèque, l’album « Chagall en Russie » de Joann Sfar, je n’ai pas hésité longtemps car j’aime la peinture de Chagall et j’ai été une grande lectrice de romans russes.

C’est l’histoire de Marc Chagall, un jeune homme qui ressemble au peintre sans pour autant être lui. Ce n’est pas une biographie dessinée de la vraie vie de Chagall, c’est un conte juif dont le héros porte le même patronyme que le peintre. Le jeune Marc est dessinateur, rêveur, idéaliste et désespérément amoureux d’une jeune fille. Désespérément car le père de l’amoureuse veut que sa fille épouse « un bon juif qui ait un bon métier ». Que faire ? Cesser de peindre et rentrer dans le rang pour épouser son amour ou renoncer à l’amour pour continuer à peindre ? A cette question existentielle, même le Rabi de Loubavitch ne connaît pas la réponse. Alors qu’il s’endort au bord de la rivière, Marc a des visions : celle d’un plafond peint par ses soins dans un sublime palais. Ou encore monter une pièce de théâtre pour montrer à son futur beau-père qu’il est capable de vivre, honorablement, de son art.

Avec une verve extraordinaire dans les textes, parsemés de mots et d’expressions yiddishs, Joann Sfar m’a entraînée dans une valse endiablée au cœur d’une Russie en proie aux conflits du début de la Révolution : les cosaques mènent une ultime chevauchée d’une sauvagerie quasiment burlesque, les poncifs sur les pogroms sont malmené avec brio et un humour ravageur. Sfar détaille avec drôlerie le quotidien des villages de l’époque, les préoccupations des habitants, les cosaques violents assassins sans qu’ils sachent pourquoi, ils tuent parce qu’on leur dit de tuer.

Dans le deuxième tome, Sfar met en scène le jeune Marc désireux de créer un opéra dans son village. Un quatuor invraisemblable prend vie sous nos yeux, tel le tétragramme hébreux : Marc, Jésus-Christ, Tam et le violoniste. Marc tient le pinceau, Tam le couteau sacrificiel. La sarabande continue, dans une folie surréaliste et presque mystique : tout est fouillis, tout est désordre et tout est incroyable.

Le rythme est endiablé, on suit les virevoltes et les comiques de situation avec entrain, ces folies dessinent les brutalités de la vie faites aux juifs.

« Chagall en Russie » est une biographie du peintre prenant beaucoup de liberté sa vie. Cette licence n’est pas à vilipender car grâce à elle, Sfar n’assomme pas son lecteur avec une ribambelle de faits. Les couleurs utilisées, les dessins d’animaux, certaines scènes permettent d’entrer dans l’univers du peintre et donnent envie de se replonger dans son œuvre.

Je n’ai pas été enthousiasmée au plus haut point, cependant j’ai passé un excellent moment en compagnie des personnages burlesques.

Quelques avis :

Babelio tome 1  Babelio tome 2Ma p’tite liste

Littérature classique·Les classiques c'est fantastique·Littérature américaine·Science Fiction

Chroniques martiennes

Décembre emmenait les participants aux Classiques c’est fantastique, dans le monde de la SF, des dystopies et des mondes parallèles. J’ai choisi une lecture que j’aurais du faire depuis longtemps, « Chroniques martiennes » de Ray Bradbury, recueil de nouvelles publié aux Etats-Unis en 1950 et en France en 1954.

Dans les années 45-50, le monde observait Mars, la planète rouge, fantasmait sur une possible vie extra-terrestre, découvrait les canaux et les mers de cette planète. Le monde d’alors craignait une guerre nucléaire, la dévastation de notre planète bleue. Les « Chroniques martiennes » relatent la conquête de Mars par la Terre, sa colonisation puis son dépeuplement, sous le prisme des années 45-50 aux Etats-Unis.

Chaque nouvelle est liée avec les autres par un fil rouge, celui des missions successives vers Mars. Chacune d’elle relate un épisode de cette colonisation, de la confrontation avec l’Autre, des regards portés par les colonisateurs sur une civilisation millénaire disparue. Une civilisation sophistiquée, plus portée sur la culture, les arts que sur la guerre. Une civilisation parvenue à vivre en accord avec la nature, à l’accepter comme partie intégrante de la vie. Le temps s’écoule doucement sur Mars, entre chaque expédition terrienne. Les Chroniques se déroulent entre 1999 et 2057. On ne peut s’empêcher de constater combien Ray Bradbury a touché du doigt ce que nous vivons aujourd’hui : les crises identitaire amenant au totalitarisme, alimentaire, politique, militaire ou technologique. Une prescience due à l’observation fine des sociétés humaines et de la nature humaine.

J’ai aimé chaque nouvelle des Chroniques, chaque épisode d’une conquête rêvée enfin réalisée …. mais à quel prix ! L’écriture est absolument magnifique, d’une grande poésie, bien que ne parlant pas la langue anglaise je ne peux m’empêcher de penser que le traducteur Henri Robillot a réussi un travail extraordinaire. Mars apparaît comme un monde fabuleux de connaissances, de beautés architecturales et naturelles : les canaux remplis d’une eau scintillant sous les lunes, les mers mortes mélancoliques, les villes abandonnées d’une beauté glaçante, la chaleur de la journée et le froid de la nuit, Les bateaux à voiles glissant sur le sable, tout porte à la rêverie poétique.

Une nouvelle m’a particulièrement plu : « Usher II ». Sur Terre, les livres des auteurs notamment fantastiques ont été brûlés, trente ans auparavant car jugés dangereux pour la morale qui ne tolère que le réalisme dans les écrits ou les films. William Stendahl a construit sur Mars la Maison Usher, en référence aux œuvres d’Edgar Allan Poe et reçoit la visite d’un inspecteur de l’Hygiène morale – cela ne vous rappelle pas Fahrenheit 451 ? – qui le somme de la détruire. La chute est jubilatoire et nombre de groupuscules empêcheurs de lire en rond devraient la lire et relire, tout comme la nouvelle de Poe « La chute de la Maison Usher », afin de cesser d’ennuyer le monde avec leurs inepties à deux sous.

« Garrett, dit Stendahl, savez-vous pourquoi je vous ai joué ce tour ? Parce que vous avez brûlé les livres de M.Poe sans les lire vraiment. Vous avez cru ceux qui vous affirmaient qu’il fallait les brûler. Sinon, vous auriez compris ce qui vous attendait ici quand nous sommes descendus tout à l’heure. L’ignorance est fatale, Mr Garrett. » (p 174 in « Usher II »)

Les « Chroniques martiennes » pointent du doigt l’arrogance colonisatrice de l’américain moyen, tirant sur ce qui ne lui ressemble pas, reproduisant sur une planète située à des millions d’années-lumière les villes, les us et les coutumes de l’état américain dont il est originaire. En filigrane, on peut voir également une critique de la colonisation des terres amérindiennes, c’est subtil et fort, le tout en quelques lignes.

« Demandez-moi alors si je crois à l’esprit des choses dans la mesure où elles sont servi, et je répondrai oui. Elles sont toutes autour de nous. Tout ce qui avait un rôle, nous ne pourrons jamais en tirer parti sans un sentiment de gêne. Et toutes ces montagnes avec leurs noms. Jamais elles ne nous seront familières. Nous les rebaptiserons mais leurs noms primitifs demeurent dans le passé, et les montagnes ont été modelées et contemplées sous ces anciens noms. Ceux que nous leur donnerons, comme à ces canaux ou ces villes, glisseront dessus comme l’eau sur un canard. Nous ne toucherons jamais Mars, quoi que nous fassions. Alors, nous nous mettrons en fureur et savez-vous ce qui se passera ? Nous la mettrons à sac, nous l’éventrerons, pour la refaire à notre mesure. » (p 82-83 in « Et la lune toujours brillante »)

« Chroniques martiennes » est un monument de la littérature de SF et lui donne un autre ton. La force poétique de l’écriture en fait un incontournable et ne laisse pas indifférent dans le sens où le lecteur n’oubliera jamais l’atmosphère des nouvelles.

Traduit de l’américain par Henri Robillot

Quelques avis :

BabelioSens CritiqueL’Ourse bibliophile

Lu dans le cadre

Le bilan « SF. Dystopies Mondes parallèles » est disponible chez Mokamilla.

Littérature française·Science Fiction

Le dixième vaisseau

Je suis une inconditionnelle de l’oeuvre de Pierre Bordage, même si quelques uns de ses romans n’ont pas été à la hauteur de son talent. Quand Masse Critique « Mauvais genre » de Babelio a proposé, entre autres, « Le dixième vaisseau » de Bordage, je me suis empressée de candidater pour recevoir ce titre.

Les Humains ont exploré et conquis les planètes habitées de notre galaxie Voie lactée, les frontières de l’impossible sont sans cesse repoussées au-delà de l’imagination. Des civilisations ont été écrasées par la domination terrienne, les survivantes ont choisi de se soumettre pour ne pas disparaître. L’Intelligence Artificielle est le gestionnaire privilégié des vaisseaux spatiaux et des instruments du quotidien, au point d’être en passe de supplanter l’homme. Dans un contexte de rejet de ce qui est différent, un groupe terroriste prônant le suprémacisme humain, sème la terreur sur la planète Brull, un capitaine, Livio Squirell, purgeant une peine de réclusion perpétuité pour des meurtres qu’il nie avoir commis, est « gracié » par le gouvernement pour mener une mission, quasi suicidaire, en direction du Triangle, une galaxie proche de la Voie Lactée, une jeune orpheline aux souvenirs épars et étranges, Flogg, génie de la mécanique spatiale, Tarr, un Gromb au grand cœur, Rejazz assistée d’un logiciel « Aïdo », représentante de l’Hexacratie, se retrouvent à bord de l’Esmerillo, le dixième vaisseau envoyé vers le Triangle. La mission est extrêmement périlleuse, personne n’est certain d’en revenir vivant, cependant il est impératif de savoir quel type d’activité intelligente a été détecté et évaluer son potentiel danger. Rapidement, parmi l’équipage comprenant une quarantaine d’humains et non-humains, l’ambiance se dégrade. Sollila, l’IA de l’Esmerillo, est souvent leurrée, comme si quelque chose s’était insinué dans ses programmes pour en dégrader quelques uns, des actes de sabotage sont commis, des actes d’insubordination ont lieu ainsi que des tentatives de meurtre. Qui souhaite l’échec de la mission ? Et surtout, qui a envoyé les signaux depuis la galaxie du Triangle ?

Dans « Le dixième vaisseau », Bordage met, une fois de plus, l’accent sur les relations humaines et leurs interactions. Il y a un plus avec l’existence des ENHNA (espèces non humaines et non animales), des extraterrestres comme Tarr dont les perceptions ont du mal à être comprises par les humains. Au fil du roman, l’auteur m’a renvoyée aux maux de notre société contemporaine : la différence provoquant la peur et le rejet de l’autre, l’idée véhiculée par certains qu’il y a une suprématie d’une race sur les autres, l’intolérance et le racisme. Tout cela est évoqué sans pourtant devenir une antienne moralisatrice, ce qui fait sa force.

Un autre aspect du roman m’a intéressée : la place de l’IA, appelée Sollila, dans le récit, qui devient, très vite, un personnage à part entière. Menacée par un attaquant mystérieux, la seule solution pour sauver son intégrité est qu’elle se cache en Livio, le temps pour elle de reprendre le contrôle du vaisseau après avoir débusqué le danger. Il y a des scènes extraordinaires où Sollila apprend les émotions et même l’humour au point de faire mine de rechigner à regagner son « chez elle ». Par subtile touches, Bordage aborde le transhumanisme, philosophie qui fait tant couler d’encre. Entre Sollila et Aïdo, deux courants de pensée prennent corps : les IA peuvent-elle remplacer l’Homme ou ne sont-elles que des assistants dotés d’un recul et d’une logique nécessaires pour aider à prendre la bonne décision ? Peut-on avoir une foi aveugle dans un logiciel évolué (Aïdo) comme l’a Rejazz dont on apprendra un pan de son passé surprenant. L’IA peut-elle se sacrifier pour la survie d’un être humain ?

Le thème du Messie est également au cœur du roman : Flogg n’est pas vraiment Flogg, sa véritable identité sera révélée en cours de mission. Un Messie rédempteur et sauveur d’un monde sous l’emprise d’une entité violente avec laquelle toute forme de communication est impossible. Les Ténèbres, devenues au fil des siècles, pour les habitants des planètes du Triangle, les Nbr, sorties de nulle part, attaquant et détruisant sans vergogne les mondes sur leur route, leur ôtant toute vie, animale et végétale. Qui sont les Nbr ? Un amas de cellules d’énergie destructrices ? Sont-elles le côté obscur de l’esprit humain ? Tout ce qu’il y a de sombre et de destructeur emmagasiné sous forme de nuée gigantesque ? Un avatar de la colère divine ? J’avoue que ces Nbr m’ont beaucoup intriguée d’autant plus que Bordage laisse planer le mystère sur l’origine de cette masse destructrice.

« Le dixième vaisseau » est un roman dans lequel l’auteur m’a embarquée dès les premières lignes. Il y a de multiples rebondissements, des révélations plus inattendues les unes que les autres et quelques deus ex machina incroyables. Je suis restée sur ma faim car les derniers chapitres auraient mérité d’être plus détaillés, il y avait matière à cela. Quelles relations seront instaurées entre le Triangle et La Voie Lactée ? Quel avenir pour les héros survivants ? Autant de questions sans réponse à moins qu’il n’y ait une suite.

« Le dixième vaisseau » a été une lecture plaisante, un voyage intergalactique prenant et haletant, aux accents épiques au moment voulu. Cependant, je persiste à penser que Bordage n’est jamais meilleur que lorsqu’il écrit des space-opéra comme « La Fraternité du Panca » ou des cycles magnifiques tels que « Le cycle de Wang » ou la trilogie « Les guerriers du silence ».

Merci à Babelio et Masse Crtique et aux éditions ScriNeo SF pour cette lecture passionnante.

Quelques avis :

BabelioSens critiqueScifilisonsMylèneCallysseAlex

Le dixième vaisseau par Pierre Bordage

Le dixième vaisseau

Le dixième vaisseau

Pierre Bordage

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Les premières lignes·Littérature française

Les premières lignes #10

Sur une idée de Ma lecturothèque, chaque semaine je prends un livre dans ma bibliothèque et je recopie ses premières lignes.

Aujourd’hui, les premières lignes d’un roman de Carole Martinez « Du domaine des Murmures », son deuxième roman, couronné par le Prix Goncourt des Lycéens 2011.

Dans ce conte sensuel et cruel, Carole Martinez dessine l’inoubliable portrait d’une femme insoumise, vivant à la lisière du songe.

Résumé

En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire « oui ». Contre la décision de son père, le seigneur du domaine des Murmure, elle s’offre à Dieur et exige de vivre emmurée jusqu’à sa mort. Elle ne se doute pas de ce qu’elle entraîne dans sa tombe, ni du voyage que sera sa réclusion…. Loin de gagner la solitude, la voici bientôt témoin et actrice de son siècle, inspirant pèlerins et croisés jusqu’en Terre sainte.

Aujourd’hui encore, son fantôme murmure son fabuleux destin à qui sait tendre l’oreille.

Les premières lignes

Prologue

On gagne le château des Murmures par le nord.

Il faut connaître le pays pour s’engager dans le chemin qui perce la forêt épaisse depuis le pré de la Dame Verte. Cette plaie entre les arbres, des générations d’hommes l’ont entretenue comme feu, coupant les branches à mesure qu’elles repoussaient, luttant sans cesse pour empêcher que la masse des bois ne se refermât.

La voie en proie à l’effacement, où nous marchons longtemps, résonne de cris d’oiseaux. Nous peinons un peu et poussons sur nos orteils pour décoller nos pieds du sol boueux, de la terre qui monte en pente douce. Des ronces nous agrippent aux mollets, nous griffent au visage, de petites araignées brunes courent sur la mousse entre les feuilles. Nous avançons sous une voûte végétale que seuls les rares rayons parviennent à traverser. Quelques lames lumineuses zèbrent d’or les sous-bois comme dans les enluminures d’un vieux livre de contes.

Enfin, la feuillée s’ouvre et nous débouchons sur une grande clairière, jadis ceinte d’une gigantesque palissade de troncs morts puis, deux siècles plus tard, d’un mur de moellons si haut qu’on apercevait à peine le sommet de la grosse tour par-derrière. Aujourd’hui, il ne subsiste de ces remparts que quelques ruines de vieilles courtines qui ceinturaient sur trois côtés l’éblouissante trouée où se dresse le château des Murmures.

Alors tenté(e)?