Le jeudi, c'est poésie·Littérature coréenne·Poésie

Le troisième jeudi, c’est poésie #2

Après un extrait du recueil « Les amours jaunes » de Tristan Corbière, j’ai choisi de vous faire lire un poème coréen extrait du recueil « Fleurs d’azalée » de Kim So-wol, poète représentatif de la période d’occupation japonaise. Il a vécu une courte vie (1902-1934), semée d’embûches, et ce recueil est son unique production poétique.

« Lorsque, agacé de me voir,
Vous me quitterez,
Sans un mot, doucement, je me résignerai à vous laisser partir.
Les fleurs d’azalée
Du mont Yak à Yeongbyeon
Je me résignerai à les répandre à pleines brassées, sur le chemin que vous prendrez.
À chacun de vos pas,
S’il vous plaît, partez en foulant légèrement
Ces fleurs éparses. »
Poème dans la traduction de Mme Kim Hyeon-ju et M. Mesini

« 나 보기가 역겨워
가실 때에는
말없이 고이 보내 드리우리다.
영변에 약산
진달래꽃
아름따다 가실 길에 뿌리우리다.
가시는 걸음 걸음
놓인 그 꽃을
사뿐히 즈려 밟고 가시옵소서. »
— Poème dans la langue originale

Littérature coréenne

La vie rêvée des plantes

J’ai choisi de passer une partie de mon été à voyager, de manière immobile, en Corée. Le périple littéraire commence par un court roman de Lee Seung-U « La vie rêvée des plantes ».

« Après des années d’absence, Kihyon est de retour. Entre une mère énigmatique, un père retiré dans son jardin à converser avec ses plantes, et un frère qui a tout perdu, Kihyon cherche sa place. Il se voit bientôt confier une mission par un mystérieux commanditaire : enquêter sur sa propre mère, dont les silences dissimulent un troublant secret de famille. Obsédé par ce qu’il découvre et par la passion dévorante qu’il éprouve pour la belle Yun Sunmi, il tente à tout prix de réparer les blessures du passé… »

La quatrième de couverture donne le « la » sans pour autant dévoiler tout le sel de l’intrigue. On fait connaissance avec les protagonistes au fil des souvenirs de Kihyon, fils, non prodigue, de retour après des années d’éloignement. C’est qu’il a toujours nourri un sentiment d’infériorité envers son frère aîné, Uhyon, ainsi qu’une jalousie qui lui gâche la vie. Uhyon est tout ce qu’il n’est pas : bon élève, bon fils, bon esprit, photographe amateur éclairé, charismatique et droit au point qu’un jour Kihyon se dit qu’il ne manquerait à personne s’il quittait la maison.

Comment blesser son frère aîné ? Comment se venger de lui ? Tout simplement en fuguant et en emportant dans sa fuite l’appareil photo de son frère afin de le vendre et empocher l’argent. Hélas, il ne savait pas qu’une pellicule était dans l’appareil et ne put donc prévoir que l’acheteur de l’appareil photo la trouverait, la développerait et tomberait sur des photos montrant les violences policières lors des manifestations anti-gouvernementales. Une perquisition au domicile familial s’ensuit et Uhyon est enrôlé de force dans l’armée qui ne lui fera aucun cadeau puisque lors d’un exercice militaire il perdra ses deux jambes. Quand Kihyon revient chez lui, il comprend que son vol de l’appareil photo a engendré le lourd handicap physique de son frère. Il souhaite d’autant plus réparer les erreurs du passé qu’il a découvert de sa mère accompagne régulièrement Uhyon dans le quartier des plaisirs afin qu’il soulage sa libido dans les bras des prostituées. Mais, est-il possible de tout réparer ?

De questionnements en filatures, Kihyon mettra le doigt sur un secret de famille et découvrira qu’il existe des formes, crues et élevées, de l’amour. C’est par amour que sa mère a porté son secret toute une vie. C’est par amour que son père est aux côtés de son épouse et qu’il accepte de ne pas être l’amour de sa vie, de n’être qu’un second choix. C’est par amour filial que sa mère supporte l’humiliation de porter sur son dos Uhyin et de l’amener au bordel. C’est par amour, filial et fraternel, et désir de pardon que Kihyon partira à la recherche de Summi, l’ancienne fiancée de son frère dont il était secrètement amoureux.

Mais que viennent faire, dans l’histoire, les plantes et leur vie rêvée ? Elles sont la métaphore des liens qui unissent les êtres de manière indéfectible. Elles sont la preuve, par leurs racines et leurs branchages, qu’un réseau complexe unit les vies des hommes comme celles des plantes. Les dieux sauvent les jeunes femmes et jeunes hommes des assiduités de leurs poursuivants en les transformant en arbres ou fleurs. Uhyon étudiait avec assiduité la mythologie au point qu’il affectionne, comme son père, la compagnie des arbres, qu’il aime leur parler. La nature montre le chemin à l’homme et le guide vers l’essentiel.

Lee Seung-U insuffle une atmosphère sulfureuse dans son roman et lui donne un mélange, très déroutant, de violence (il y a des scènes très crues notamment celles qui décrivent les crises de Uhyon) et d’infinie délicatesse (la description des arbres, de leur entrelacement surprenant ou la scène amoureuse entre la mère et son amant). Il montre les diverses formes que peut prendre l’amour, des plus merveilleuses aux plus sordides.

Un roman, très beau, prenant de bout en bout dans lequel l’onirisme a une place importante.

Roman traduit du coréen par Mi-Kyung Choi et Jean-Noël Juttet

Quelques avis :

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