La bibli des p'tits chats (ados)·Les classiques c'est fantastique·Littérature canadienne·Littérature classique

Anne de Redmond

Les classiques c’est fantastique ont consacré le mois de septembre à la littérature jeunesse. Initialement, j’avais prévu de relire un roman de George Sand pour finalement préférer traverser l’Atlantique et me plonger dans la suite des aventures de la pétillante Anne Green Gables dont je suis les aventures avec délice.

J’ai pris le tome 3 du cycle, « Anne de Redmond » (j’ai lu l’an dernier le tome 2 mais ne l’ai jamais chroniqué), heureuse de retrouver ma joyeuse héroïne de l’île du Prince Edouard.

Anne, la fillette exubérante et follement romantique, aux longues tresses rousses a bien grandi. Matthew Cuthbert est décédé, Marilla a dévoilé quelques secrets de son passé. Avant sa mort, Matthew, accompagné de Marilla, a profité d’un séjour sur le continent pour enquêter sur les parents d’Anne afin de lui apporter réconfort et espoir.

Anne a donc grandi et mûri. Elle a passé une année à enseigner dans son ancienne école d’Avonlea, à dispenser son savoir et sa pétillance auprès de ses petits élèves. Elle a rencontré des gens aussi étranges que charmants, alimentant ainsi sa fantaisie et ses aspirations à la beauté des choses. Elle œuvre pour l’embellissement de la ville avec la société qu’elle a fondée avec ses amis d’école.

Les enfants deviennent des adolescents puis de jeunes adultes. Anne peut réaliser son rêve d’entrer à l’université et s’inscrit à Redmond en compagnie de ses amis d’enfance Priscilla, Gilbert et Charlie. Anne quitte son île, Marilla, Mme Lynde, l’inénarrable commère au grand cœur devenue veuve, et les jumeaux Dora et Davy. Il y a du déchirement et de l’enthousiasme dans le départ d’Anne. Une infinie de possibles s’offrent à elle pouvant étancher sa soif d’apprendre, enthousiasme assombri à l’idée de laisser, pendant plusieurs mois, les siens et son amie Diana Barry.

« Anne de Redmond » est le roman de l’entrée dans l’âge adulte de notre jeune héroïne. Elle ne veut pas entendre parler mariage, elle rêve toujours à la rencontre romantique avec l’homme de sa vie. C’est également le moment de sa vie où elle noue de nouvelles amitiés portes ouvertes sur d’autres horizons. On assiste au quotidien estudiantin, aux soirées à l’université, on découvre le nom donné aux premières, deuxièmes et troisièmes années, on est pris dans le tourbillon, amusant et léger, d’une jeunesse qui a l’avenir devant elle. Elle apprend à voler de ses propres ailes, à regarder la voie qu’elle a choisi de suivre et à faire en sorte d’y arriver.

Certes, il ne se passe pas grand chose dans ce troisième opus, cependant je me suis laissée prendre à la narration, aux scènes décrites, à ces touches discrètes annonçant la fin de l’adolescence, la fin des années d’insouciance, la fin d’un âge de la vie.

Anne est toujours en dehors de la norme avec son charme décalé qui attire autant qu’il fait fuir. L’auteur, Lucy Maud Montgomery, peint avec justesse le moment fugace et tellement riche précédant l’entrée dans le monde des adultes, ce monde avec ses choix et ses responsabilités. La plume de l’auteur trempe dans l’encre de la mélancolie d’une enfance dont les contours s’estompent pour peu à peu disparaître. Sous l’apparence tranquille voire figée du récit, des rides discrètes remuent l’eau de la nostalgie, ces risées préparent Anne aux choix qu’elle sera amenée à arrêter. Elle a moins recours à son imagination mais elle rencontre l’homme idéal … du moins le croit-elle. « Toutes les choses précieuses se révèlent tardivement,/ A ceux qui les cherchent désespérément,/Car l’Amour oeuvr dans l’ombre de la Destinée,/ Et levant le voile, découvre des trésors cachés » (Tennyson, cité en incipit du roman). Ce qui m’a fait sourire, c’est le fait qu’Anne soit confrontée, régulièrement, à l’écart qu’il y a entre ce qu’elle a imaginé, ce qu’elle a embelli par son imaginaire romantique, et ce qu’elle vit réellement. Les subtiles différences la guident vers l’âge adulte tout en lui soulignant combien il est important de conserver une part, indéfectible, d’enfance. Elle rêve d’un amour absolu et pur, le cherche longtemps avant de comprendre que c’est inutile car il est souvent tout à côté de soi. Anne possède quelque chose de précieux : un imaginaire débordant, un sens de l’entraide et surtout une vision optimiste du monde, et ce sans niaiserie notamment quand elle est confrontée à la maladie incurable, la tuberculose, de Ruby Gillis, une amie d’enfance. « Anne de Redmond » a la saveur de l’enfance qui s’efface, la saveur d’une friandise acidulée et se savoure à l’aune de ces sensations quand on est avec Anne et ses amies dans la Maison de Patty où les chemins fleuris laissent vagabonder son esprit. La Maison de Patty est le prolongement de Green Gables, un prolongement plus mâture mais non moins poétique.

Traduit de l’anglais par Laure-Lyn Boisseau-Axmann

Quelques avis :

Babelio Mademoiselle lit Mokamilla

Lu dans le cadre

Le bilan « Jeunesse éternelle » est chez Fanny

chatperlipopette's chat-lon·Les premières lignes

Premières lignes #1

Je suis tombée sur un partage des plus sympathiques sur FB, merci Magali Vaugier! L’initiative vient d’une blogueuse Ma lecturothèque qui a donné envie à Light and Smell de participer à ce rendez-vous hebdomadaire. Cela m’a donné, par ricochet, envie d’ouvrir une nouvelle rubrique chez Chatperlipopette.

Le principe: chaque semaine je prendrai un livre dans ma bibliothèque et je recopierai ses premières lignes.

J’ouvre la rubrique par les premières lignes d’un roman terminé il y a deux semaines, « L’échappée » de Valentine Goby.

Résumé

 » Nous marchons, suivies par la foule, têtes rasées parmi les décombres de l’avenue janvier, de la rue Saint-Hélier dévastée, criblée de béances et d’immeubles en ruine, pendant des semaines c’étaient des gravats enchevêtrés de poutres, de meubles brisés, chambres, cuisines, salles à manger réduites en poussière, éclats de verre, j’imagine que c’était comme ça, tout est déblayé et vide maintenant, je trébuche sur des souvenirs que je n’ai pas, les bombardements ont eu lieu sans moi, j’étais terrée dans un couvent mais je sais tout, ils m’ont lait ce que la guerre leur a fait. »

« L’échappée » ou le destin d’une jeune paysanne bretonne coupable d’avoir aimé un pianiste allemand pendant l’Occupation. Valentine Goby signe un livre tragique et puissant sur l’identité et la liberté.

Les premières lignes

Madeleine grelotte. Elle souffle sur ses doigts. Une main après l’autre. Un froid mouillé s’engouffre sous sa jupe. Elle plaque sa jupe contre ses cuisses. Les arbres nus succèdent aux arbres nus, découpés sur le ciel gris-mauve. Elle fixe le ruban d’asphalte. Elle serre le châle sur sa poitrine. Le noeud se défait. La laine oscille contre sa joue, énervante. Elle enfonce le bonnet sur ses oreilles. Elle pédale à toutes jambes. La dynamo frotte contre la roue. C’est une vibration légère, berçante. Le phare n’éclaire rien, affaibli par la toile réglementaire. Tout juste utile à signaler une présence humaine aux halos tremblotants qui la croisent. Un soupçon de vie dans l’hiver.

Dix kilomètres de bruine encore. Rennes est une masse obscure à l’horizon, serrée derrière d’épais rideaux, des volets clos. A cette heure, Jeanne est arrivée à l’hôtel après un détour par les bois sur le porte-bagages d’Antoine; un détour par Antoine tout court. Elle a emporté par erreur la clé du cadenas de la bicyclette. Il a fallu deux heures à Madeleine pour forcer la serrure.

La route est étroite, bordée d’obstacles. Ornières, ruisseaux cachés, petits ravins, buissons de ronces. Elle longe les champs immobiles, déjà pris sous le givre. Pleins de craquements. De cris de bêtes. Le ciel compact ne laisse filtrer, à l’ouest, qu’un rai de lumière violette, presque noire.

Un grelot familier se rapproche. Madeleine accélère, pose les deux mains sur le guidon. Sa jupe s’envole. Frédéric la frôle, debout sur les pédales. Il se poste en travers de la route. Elle pile.

Etes-vous tenté(e)s par sa lecture?

Le jeudi, c'est poésie·Littérature classique·Littérature française·Poésie

Le troisième jeudi, c’est poésie #1

L’idée me trottait dans la tête depuis le « Mois anglais » au cours duquel j’ai pu lire le blog d’un participant Claude Turquety qui offre à ses lecteurs, un lundi par mois, un poème. Dans ce monde qui tourne à cent à l’heure, se poser pour lire un poème devient une méditation de pleine conscience. Chez moi, ce sera le troisième jeudi de chaque mois. Le poème inaugural choisi est extrait du recueil de poèmes de Tristan Corbière « Les Amours jaunes » (Ed nrf poésie/Gallimard)

LE CRAPAUD

Un chant dans une nuit sans air…

La lune plaque en métal clair

Les découpures du vert sombre.

… un chant; comme un écho, tout vif

Enterré, là, sous le massif …

-Ca se tait: Viens, c’est là, dans l’ombre …

-Un crapaud! – Pourquoi cette peur,

Près de moi, ton soldat fidèle!

Vois-le, poète tondu, sans aile,

Rossignol de la boue …. – Horreur! –

… Il chante. – Horreur!! – Horreur pourquoi?

Vois-tu pas son oeil de lumière…

Non: il s’en va, froid, sous sa pierre.

Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.

Le Mois anglais·Littérature anglaise·Littérature classique

Les forestiers

Grace Melbury revient dans son hameau natal, Little Hintock en lisière de la forêt qui fait la fortune des exploitants forestiers, après avoir terminé ses études et vécu parmi la bonne société, en ville.

Elle est parée de l’aura qui entoure celle qui est au-delà des limites du comté, des vallons et des bois, de l’aura de celle à qui les bonnes manières ont été enseignées, de celle qui a reçu un savoir et donc la possibilité de frayer avec des cercles autres que paysans ou commerçants.

Son avenir semble tout tracé en vertu d’un accord entre son père et celui d’un voisin, Giles Winterbone. Melbury père s’en veut d’avoir « volé » la fiancée de Winterbone père et souhaitait réparé son tort en promettant sa fille au fils Winterbone. Tout paraît clair, bien ordonnancé comme les clairières et les piles de bois en attente de la scierie ou de l’âtre. Las, car il y a toujours un « mais », c’est sans compter les nouvelles aspirations de Grace. Elle a découvert, lors de ses études, qu’il y a beaucoup de choses à découvrir ailleurs, qu’il y a des ambitions possibles à assouvir et surtout d’autres rêves à atteindre.

Grace se rend compte du décalage social, et surtout culturel, entre le milieu urbain éduqué et le petit monde paisible, simple, de Little Hintock. Pourtant, elle aime le paysage boisé, les collines alentours, sa maison natale, ses parents. Néanmoins, il lui manque le quelque chose auquel elle a goûté en ville, ce fruit qui ouvre l’appétit d’apprendre, de savoir et d’être autrement que dans la simplicité rustique. C’est cela qui gêne Grace, la rusticité du hameau et de ses habitants.

La présence d’un jeune médecin, remplaçant de l’ancien docteur connu de tous, attise les convoitises et surtout la curiosité de le gente féminine, l’intrigant Edred Fitzpiers à qui les bonne âmes prêtent des activités de sorcellerie. Le mystère entoure le jeune homme qui expliquera à Grace sa soif d’expériences et de connaissances scientifiques. Cette dernière ne restera pas indifférente au charme presque sulfureux du jeune docteur. Au grand dam de Giles, resté aux lisières de l’histoire sentimentale tissée par les ambitions et rêves d’un médecin aux audaces de carriériste et d’une jeune fille encore naïve.

Grace a-t-elle fait le bon choix en privilégiant ses nouvelles aspirations de jeune femme éduquée au lieu de cultiver ses envies et sentiments profondément sincères ?

Tout au long du roman, Thomas Hardy s’attache à montrer combien la tromperie dans les sentiments, les erreurs d’aiguillages d’une vie peuvent provoquer malheurs et désespérances. Est-ce judicieux de permettre aux jeunes filles du monde rural et paysan, d’accéder à une meilleure éducation que leurs parents ? N’est-ce pas les perdre dans des désirs d’élévation qui ne sont pas les leurs ? N’est-ce pas les éloigner de la simplicité des sentiments, de la tradition ? Il est dommage que l’auteur n’ait pas mieux mis en lumière qu’une éducation approfondie donnaient des outils aux eunes femmes pour mieux raisonner et comprendre la perfidie de la nature humaine. Sans doute a-t-il souhaité que Grace reste une jeune fille puis une jeune femme naïve et rêveuse. A mon sens, Grace vaut mieux que cela. Certes, elle est victime d’un aveuglement passager qui l’entraînera dans la peine et une vie bien sombre, mais elle n’est pas sans saveur ni personnalité. L’époque fait que les erreurs commises ne pardonnent pas aux femmes alors que les hommes peuvent rebondir à leur détriment.

Le personnage d’Erdred Fitzpiers est un monstre de fatuité, d’égoïsme et de méchanceté aux antipodes de celui de Giles Winterbone. Ces deux hommes représentent les deux côtés du Romantisme : le sombre empreint de dangers et le lunaire perdu dans les méandres de l’amour véritable et idéalisé. Le premier croque dans les plaisirs de la vie au mépris d’autrui tel un diable courtois, le second rêve, en conscience de son malheur, et espère que son horizon s’éclaircira grâce à sa contance et sa droiture…. il y a souvent du Jane Austen chez Thomas Hardy dans le sens où il sait observer, sans concession, les travers de la nature humaine avec intelligence, humanité et émotions. Cependant, il est plus sombre et plus pessimiste que Jane Austen ce qui contrebalance à merveille cette comparaison : tout est rarement absolument joyeux dans cette Angleterre corsetée et compassée.

« Les forestiers » est une perle, un bijou romanesque écrit par un auteur anglais, hélas méconnu, qui mériterait d’être beaucoup plus lu. Ses descriptions d’une nature mélancolique, romanesque, à l’aune de la tristesse de ses personnages, la magnifient par son style exquis.

Traduit de l’anglais par Antoinette Six

Quelques avis :

Babelio Charlotte

Lu dans le cadre