LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Bran ruz

« Bran Ruz » est un roman graphique paru en épisodes de 1978 à 1981 dans la revue (A suivre). Il fut publié en album en 1981.

Au cours d’un fest-noz dans un village des Monts d’Arrée, deux chanteurs se lancent dans un « kan an diskan » (« chant et contre-chant », « chant et re-chant » ou « chant et déchant» est, en Bretagne, une technique de chant à danser a capella traditionnel et tuilé (plusieurs chanteurs chantent à tour de rôle, et que le chanteur qui prend la suite du premier répète les dernières syllabes du premier chanteur. Ainsi il n’y a jamais de pause dans la diction et le rythme, ce qui est particulièrement important pour les danseurs dans le cas de chants à danser.) en breton, pratiquée à deux ou plus. Ils racontent l’histoire de Bran Ruz (le corbeau rouge) et la légende de la ville d’Ys. Il y a des siècles, enfant, Bran attrape le roi des poissons qui lui promet d’exaucer tous ses vœux s’il le relâche. Plus tard, entré dans la ville, il va s’unir à Dahud, la belle, fille du roi Gradlon. Celui-ci ne peut accepter cette offense et va confier les amants à l’océan, ligotés dans une barque. Surveillés par des êtres mystérieux, ils vont s’échouer sains et saufs, et commencer un voyage dans l’Argoat, un retour aux sources du druidisme. De combats sanglants en épopées hurlantes, leur voyage s’achèvera dans la submersion d’Ys … tout comme s’achèvera le fest-noz.

Au cours du récit, le lecteur croise des personnages historiques tels le roi Gradlon, sa fille Dahud et le moine Corentin, et des personnages appartenant aux légendes celtes tels les korrigans, Cuchulainn, héros d’Irlande et Balor, roi des Fomoires. Il rencontrera également des opposants à la centrale de Brennilis qui ont participé aux affrontements de Plogoff.

Le dessinateur Claude Auclair, originaire de Nantes (pomme de discorde depuis toujours), est très sensible aux problèmes rencontrés par les défenseurs des cultures et langues minoritaires telles que le breton. Ainsi y a-t-il quelques pages doublées (les sépias en breton à gauche et en français à droite). Les auteurs relatent en mots et en images les origines de la Bretagne, sa culture, sa langue, ses légendes, ses héros et au-delà les grands mythes celtes. Pour Auclair, dessiner est une forme de combat pour la mémoire d’une Bretagne christianisée avec violence, souvent crainte au point d’être délaissée et méprisée. Entre 1978 et 1981 un pas immense sera effectué, un pas historique qui changera beaucoup de choses : la reconnaissance des langues régionales et la mise en place officielle de leur enseignement dans les écoles de la République, par le gouvernement de François Mitterrand.

Les auteurs soulignent d’une allusion les manifestations violentes de Plogoff en mettant en scène l’Ankou, non loin de la centrale de Brennilis. On ne peut s’empêcher de frissonner.

Les dessins sont réalisés à la plume et donnent, ainsi, une dimension épique au récit, rendent hommage à une caractéristique importante bretonne : son temps pluvieux et venteux. La pluie, le vent, les tempêtes sont au cœur des événements, ils sont le décor récurrent de l’histoire.

J’ai aimé les illustrations, qui ont bien vieilli, le rythme de la narration qui me faisait imaginer danser l’andro tout en lisant. La chaleur d’un fest-noz en parfaite osmose avec la pluie délavant la nuit.

J’ai aimé les femmes dessinée par Claude Auclair : dignes, puissantes, d’une force ensorcelante. Elles sont debout, elles portent haut leur fierté et leur histoire. Les puissants et les moines sont aussi dessinés de manière tranchée : ils expriment la haine d’une culture toujours enracinée chez les bretons, la haine envers un peuple qui ne se soumet pas facilement, la haine envers les femmes qui transmettent la culture, les croyances et les mythes. Cela peut sembler caricatural, cependant c’est dans la douleur et la violence que le christianisme a été implanté en Bretagne, comme dans nombre de régions.

« Bran Ruz » est l’histoire d’une légende, celle de la ville d’Ys, engloutie par l’océan, une grande histoire d’amour belle et tragique, l’histoire d’une région en lutte pour la reconnaissance de sa culture et de sa langue, C’est un souffle épique serpentant entre les mots de deux chanteurs donnant le la aux danseurs d’andro.

Textes bretons par Goulven Pennaod

Quelques avis :

Babelio

Lu dans le cadre

Les autres bulles de la semaine sont à découvrir chez Mokamilla.

8 commentaires sur “Bran ruz

    1. C’est sur les conseils avisés de mon mari que j’ai lu ce roman graphique très intéressant. On comprend la lutte de longue haleine pour faire reconnaître la langue régionale bretonne, on voit combien la culture perdure depuis des siècles. Quant aux légendes, elles sont partout, la ville d’Ys en fait partie.

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