La bibli des p'tits chats (ados)·LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Les Quatre de Baker Street: le rossignol de Stepney

L’hiver s’achève, il faut bien le fêter avec des bulles hivernales. J’ai choisi de décliner le thème hivernal avec le troisième tome de la série « Les quatre de Baker Street ». J’ai retrouvé, avec plaisir, les petites mains de Sherlock Holmes, découvertes au fil des aventures du grand détective. La série créée par Jean-Blaise Djian, Olivier Legrand et le dessinateur David Etien met bien en valeur les gamins des rues, les trois francs-tireurs, que Sherlock utilise comme yeux et oreilles discrètes, qui apparaissent dans les romans de Conan Doyle.

Les jeunes héros, Billy, Black Tom et Charlie (ne pas oublier le chat Watson, toujours utile lors des bagarres), enfants livrés à eux-mêmes dans l’East End londonien, se voient confier une mission, secondaire, par leur mentor. L’enquête les emmène dans les bas-fonds de l’East End où règne une pègre cruelle et dangereuse. Ils doivent suivre les faits et gestes d’un jeune lord en vue qui passe ses soirées dans un cabaret de troisième zone. Il vient écouter une jeune fille à la voix de rossignol. Dans un Londres sous la neige, l’enquête s’avère être des plus ardues ce qui met nos quatre loustics dans des situations bien inconfortables qui virent rapidement au cauchemar car ils sont aux prises avec le cruel et sanguinaire Bloody Percy.

Entre racket, incendie, enlèvements, chantage et expédition dans un asile d’aliénés de Bedlam (les illustrations montrant la mère de Charlie la tête enfermée dans une cage sont glaçantes),les Quatre de Baker Street doivent solliciter le soutien du Docteur Watson, chroniqueur officiel des aventures de Sherlock Holmes. Nos héros possèdent plus d’un tour dans leur sac et useront d’ingéniosité pour sortir leurs deux protégés du mauvais pas dans lequel ils se sont mis.

« Le rossignol de Stepney » permet d’entrer un peu plus dans l’histoire personnelle des enfants et les liens qui les unissent, je me suis encore plus attachée à eux. C’est aussi une porte ouverte sur les relations sociales dans un Londres victorien, sur le monde sordide de la pègre londonienne, sur les complots ourdis par des aristocrates bien pensants (l’oncle du jeune Lord est en relation avec des truants). L’intrigue est intéressante et réserve quelques surprises. Quant aux illustrations, elles sont très colorées, agréables à l’oeil et surtout offrent des points de vue intéressants dans le déroulé de l’histoire. L’ambiance hivernale rajoute à l’atmosphère froide et glaçante du récit. Sous l’ouate neigeuse, la violence peut exploser à tout moment. La cruauté de Bloody Percy, le dandy du crime, est palpable dans chaque illustration où il apparaît.

Une troisième aventure des Quatre trépidante dans laquelle je me suis plongée avec bonheur.

Quelques avis :

Hérisson Lou Babelio

Lu dans le cadre

Les autres bulles de la semaine sont à découvrir chez Fanny.

An american year·Littérature américaine

La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao

Premier roman de l’auteur Junot Diaz, d’origine dominicaine, « La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao » (prix Pulitzer 2008) est une fresque familiale riche en rebondissements et en mésaventures parfois sanglantes. « Peu importe en quoi vous croyez, le fuku, lui, croit en vous. » dit le narrateur, éphémère petit ami de Lola. Le fuku, une très ancienne légende dominicaine, est la malédiction qui frappe, depuis des générations, la famille d’Oscar. Oscar, lui, ne vit que dans des mondes fantastiques, à la Tolkien, il s’imagine bourreau des cœurs, Casanova dominicain cueillant les jolies femmes au rythme de sa marche.. sauf qu’Oscar Wao est loin d’être l’archétype du tombeur des Caraïbes : il est solitaire, porteur de lunettes, sédentaire au point d’être obèse, souffre-douleur et ne sait pas aborder une femme sans lui parler de Science Fiction ou de Fantastique Fantasy, de quoi faire fuir les plus courageuses. Le tombeur des bacs à sable est devenu un jeune homme obèse, graphomane malheureux, qui voit toutes ses tentatives amoureuses vouées à l’échec … hormis lorsqu’il prend en main son destin tragique.

Oscar a bien un pouvoir particulier de super-héros : celui de voyager dans le temps et permettre au lecteur d’entrer dans la saga familiale et l’histoire dominicaine. Le roman relate trois adolescences, celles d’Oscar, de Lola et de Beli. Lola déteste sa mère, Beli, élevée par sa tante la Inca à Saint Domingue. Beli a eu une vie inimaginable, extraordinaire et dramatique alors que la vie l’avait fait naître dans une famille aisée de la bourgeoisie dominicaine. Or, à l’époque de la dictature féroce exercée par le Trujillo, Rafael Trujillo, il est dangereux pour un père d’avoir une très belle fille, adolescente, à la maison et de la cacher afin de l’éloigner de sa convoitise de prédateur sexuel. Le père de Beli osa soustraire sa fille à l’appétit lubrique du dictateur provoquant la chute et la perte de sa famille. Par miracle, après de multiples embrouilles, tombant de Charybde en Scylla, Beli devenue esclave est sauvée par sa tante. Or, Beli est si belle qu’elle attire la convoitise des hommes et qu’elle a le malheur de tomber amoureuse d’un fidèle du Trujillo au point qu’il lui en cuira et qu’elle devra fuir aux Etats-Unis, dans le New Jersey où elle donnera naissance à ses deux enfants.

« La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao » est un roman tellement foisonnant que je m’y suis perdue plus d’une fois avant de m’adapter au rythme de la narration et à l’écriture si particulière de l’auteur qui mêle les mots en espagnol, les expressions des Caraïbes à sa langue d’adoption ce qui n’est guère aisé à rendre dans la traduction française. Cet inconvénient est vite oublié parce que le récit virevoltant est passionnant. Junot Diaz entrelace les registres de langues et les genres littéraires. On passe de la comédie au drame le plus noir, du burlesque au tragique, du réalisme au surnaturel, de la profondeur des idées à la crudité, parfois éprouvante, des mots et des scènes, du récit classique à l’exubérance baroque. C’est un pur plaisir que de se laisser porter par l’inventivité littéraire de l’auteur. Ce qui m’a également désarçonnée c’est l’alliage, cité ci-dessus, de deux langues mettant en valeur du spanish connu, les onomatopées, les jurons et autres interjections imagées, de tics de langage, de verlan et d’autres inventions plus cocasses les unes que les autres. Sans compter les notes de bas de page où la frontière entre la parodie et les précisions historiques est d’une minceur fragile.

« La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao » est aussi un roman sur une masculinité qui vire au tragi-comique sous l’ironie facétieuse de l’auteur. Oscar traîne sa virginité comme un fardeau, le fardeau du fuku qui fait qu’il ne peut être un mâle dominicain qui se respecte. A défaut de conquêtes féminines, il noircit ses cahiers de romans, de récits fantastiques et engloutit des montagnes de nourriture. Junot Diaz a écrit, également, un roman sur l’immigration, l’identité, la mémoire de l’esclavage et la diaspora tout en évoquant l’envie légitime de s’élever dans la société américaine sans trahir ses origines et en être fier. Le tout servi par une ironie joyeuse qui rend la chronique épique de cette famille, parfois dysfonctionnelle, hilarante tant Oscar peut être vu comme le Buster Keaton de la « loose ».

Une lecture jubilatoire et une très belle découverte.

Traduit de l’américain par Laurence Viallet

Quelques avis :

Babelio Sens Critique Lady K Majanissa Neph

Lu dans le cadre « An American Year », en janvier nous lisions des autrices/auteurs ayant reçu un prix littéraire aux USA.

LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Bran ruz

« Bran Ruz » est un roman graphique paru en épisodes de 1978 à 1981 dans la revue (A suivre). Il fut publié en album en 1981.

Au cours d’un fest-noz dans un village des Monts d’Arrée, deux chanteurs se lancent dans un « kan an diskan » (« chant et contre-chant », « chant et re-chant » ou « chant et déchant» est, en Bretagne, une technique de chant à danser a capella traditionnel et tuilé (plusieurs chanteurs chantent à tour de rôle, et que le chanteur qui prend la suite du premier répète les dernières syllabes du premier chanteur. Ainsi il n’y a jamais de pause dans la diction et le rythme, ce qui est particulièrement important pour les danseurs dans le cas de chants à danser.) en breton, pratiquée à deux ou plus. Ils racontent l’histoire de Bran Ruz (le corbeau rouge) et la légende de la ville d’Ys. Il y a des siècles, enfant, Bran attrape le roi des poissons qui lui promet d’exaucer tous ses vœux s’il le relâche. Plus tard, entré dans la ville, il va s’unir à Dahud, la belle, fille du roi Gradlon. Celui-ci ne peut accepter cette offense et va confier les amants à l’océan, ligotés dans une barque. Surveillés par des êtres mystérieux, ils vont s’échouer sains et saufs, et commencer un voyage dans l’Argoat, un retour aux sources du druidisme. De combats sanglants en épopées hurlantes, leur voyage s’achèvera dans la submersion d’Ys … tout comme s’achèvera le fest-noz.

Au cours du récit, le lecteur croise des personnages historiques tels le roi Gradlon, sa fille Dahud et le moine Corentin, et des personnages appartenant aux légendes celtes tels les korrigans, Cuchulainn, héros d’Irlande et Balor, roi des Fomoires. Il rencontrera également des opposants à la centrale de Brennilis qui ont participé aux affrontements de Plogoff.

Le dessinateur Claude Auclair, originaire de Nantes (pomme de discorde depuis toujours), est très sensible aux problèmes rencontrés par les défenseurs des cultures et langues minoritaires telles que le breton. Ainsi y a-t-il quelques pages doublées (les sépias en breton à gauche et en français à droite). Les auteurs relatent en mots et en images les origines de la Bretagne, sa culture, sa langue, ses légendes, ses héros et au-delà les grands mythes celtes. Pour Auclair, dessiner est une forme de combat pour la mémoire d’une Bretagne christianisée avec violence, souvent crainte au point d’être délaissée et méprisée. Entre 1978 et 1981 un pas immense sera effectué, un pas historique qui changera beaucoup de choses : la reconnaissance des langues régionales et la mise en place officielle de leur enseignement dans les écoles de la République, par le gouvernement de François Mitterrand.

Les auteurs soulignent d’une allusion les manifestations violentes de Plogoff en mettant en scène l’Ankou, non loin de la centrale de Brennilis. On ne peut s’empêcher de frissonner.

Les dessins sont réalisés à la plume et donnent, ainsi, une dimension épique au récit, rendent hommage à une caractéristique importante bretonne : son temps pluvieux et venteux. La pluie, le vent, les tempêtes sont au cœur des événements, ils sont le décor récurrent de l’histoire.

J’ai aimé les illustrations, qui ont bien vieilli, le rythme de la narration qui me faisait imaginer danser l’andro tout en lisant. La chaleur d’un fest-noz en parfaite osmose avec la pluie délavant la nuit.

J’ai aimé les femmes dessinée par Claude Auclair : dignes, puissantes, d’une force ensorcelante. Elles sont debout, elles portent haut leur fierté et leur histoire. Les puissants et les moines sont aussi dessinés de manière tranchée : ils expriment la haine d’une culture toujours enracinée chez les bretons, la haine envers un peuple qui ne se soumet pas facilement, la haine envers les femmes qui transmettent la culture, les croyances et les mythes. Cela peut sembler caricatural, cependant c’est dans la douleur et la violence que le christianisme a été implanté en Bretagne, comme dans nombre de régions.

« Bran Ruz » est l’histoire d’une légende, celle de la ville d’Ys, engloutie par l’océan, une grande histoire d’amour belle et tragique, l’histoire d’une région en lutte pour la reconnaissance de sa culture et de sa langue, C’est un souffle épique serpentant entre les mots de deux chanteurs donnant le la aux danseurs d’andro.

Textes bretons par Goulven Pennaod

Quelques avis :

Babelio

Lu dans le cadre

Les autres bulles de la semaine sont à découvrir chez Mokamilla.

Le jeudi, c'est poésie·Littérature française·Poésie

Le troisième jeudi, c’est poésie #6

Le printemps s’annonce avec la floraison de mon prunus. Cette année, il est absolument magnifique. Aujourd’hui je ne partagerai pas le poème d’un poète connu. La poésie n’appartient pas à quelques uns, elle est à tout le monde. Verlane Marmotin (anagramme de son nom, Martine Le Morvan) écrit et photographie pour illustrer ses textes. Ils m’ont beaucoup touchée et ils ont eu le don de me faire sentir bien ou mieux, selon le moment de lecture. J’ai choisi un poème de son premier recueil « Voir avec le coeur ». Elle n’est pas aussi célèbre que Sylvain Tesson, elle sait s’arrêter pour observer la nature et en extraire du Merveilleux, quelques instants suspendus de la réalité ouvrant une porte sur l’ailleurs.

Frisson

Au bord du lac gelé

Les elfes et les fées

Viennent au point du jour

Rire et chanter l’amour.

Ils ne laissent autour d’eux

Que des reflets discrets

De leur joyeuse farandole,

Juste un frémissement

A la surface de l’eau

Comme le souffle caressant

De ton amour sur ma peau.

Regarde comme c’est beau…

Littérature française

Rhapsodie des chaussettes veuves

Le titre m’a beaucoup intriguée aussi est-ce pour cela que je l’ai choisi. La quatrième de couverture était également attirante : mettre en scène la Muse et le Conteur était amusant, comme un écho au théâtre grec antique.

C’est l’histoire d’un écrivain, pas encore publié, en pleine écriture d’un roman dont l’argument littéraire est la recherche des chaussettes orphelines. Où se cachent les chaussettes uniques ? Mystère.

Le récit alterne l’écriture du conte avec les menus faits du quotidien du romancier …. une rhapsodie faites de petits morceaux organisés selon la fantaisie du romancier, selon ses réflexions du moment, selon ce qu’il vit au sein de son couple. Ah … justement … le couple, une paire de personne. J’avoue avoir été désarçonnée par les premiers chapitres, ne voyant pas trop où m’emmenait le fil conducteur déroulé par l’auteur. Peu à peu, je me suis dit …. et si les chaussettes veuves n’étaient pas, tout simplement, une métaphore ou plus exactement une allégorie de la situation du narrateur. La chaussette perdue, objet concret, tangible, renverrait à l’impression de solitude et surtout d’incompréhension qu’il éprouve. Le conte, proche de la fantaisie, prend des accents philosophiques : quelle est ma place dans le couple, dans l’entourage proche, dans le monde ? Le narrateur est impossible à ranger dans une case et devient, aux yeux de son épouse, caricature de « l’exécutive woman », de la manager dynamique et battante, un homme transparent à la limite de l’inutile. Face à l’arrogance condescendante de sa moitié, le narrateur se sent parfois perdu, à l’image d’une chaussette dépareillée. Cependant, il y puise une force créatrice indéniable.

Avec justesse, le narrateur souligne l’inanité de quelques sphères parisiennes, celles des grandes entreprises comme celles des soupers littéraires. L’entre-soi rend invisible ce qui n’appartient pas au cercle, l’entre-soi parle une langue étrangère pour ceux qui ne sont pas de la partie, l’entre-soi n’ouvre aucune perspective, loin s’en faut.

« Rhapsodie des chaussettes veuves » est un roman surprenant par son apparente étrangeté. Or, très vite, le lecteur prend conscience des différents niveaux de lecture et parvient à en faire son miel grâce à l’humour grinçant de nombreuses scènes, parfois, il y a un aspect effrayant au cœur de certaines d’entre elles.

Si j’ai eu, en fermant le livre, une impression d’inachevé (j’aurais aimé rester un peu plus longtemps en compagnie du narrateur et de son imagination débordante) c’est que, hélas, l’auteur, Richard Laborier, est décédé (en plein confinement) avant d’apporter la touche finale à son roman.

Je remercie les éditions Portaparole pour l’envoi de ce roman insolite et agréable à lire.

Rhapsodie des chaussettes veuves par Richard Laborier

Rhapsodie des chaussettes veuves

Rhapsodie des chaussettes veuves

Richard Laborier

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Littérature japonaise

La librairie Morisaki

Après la lecture éprouvante, mais passionnante, de « Malgré toute ma rage », il était nécessaire de lire un roman léger et doux. Mon choix s’est porté sur « La librairie Morisaki » de Satoshi Yagisawa.

Takako est dévastée quand son compagnon, Hideaki, lui annonce qu’il se fiance et qu’il la quitte par la même occasion. Le pire est qu’ils travaillent dans la même société. La jeune femme ne supporte plus de le croiser sans cesse et présente sa démission pour mieux plonger dans un désespoir dont elle a du mal à s’affranchir. Au moment où elle s’y attend le moins, elle reçoit un appel téléphonique de son oncle Satoru, homme excentrique, qu’elle n’a pas revu depuis des années. Il a repris la librairie d’occasion familiale à Jinbôchô, à Tokyo, le quartier des bouquinistes. Il l’invite à venir l’aider et à s’installer à l’étage de la librairie. Comme elle n’a rien à perdre et qu’elle doit sortir de son état dépressif, Takako accepte la proposition de son oncle, sans enthousiasme. Commence alors une découverte d’un monde particulier, celui des bouquinistes, et d’un quartier pittoresque tokyoïte. D’abord imperméable à la présence des livres, la jeune femme passe son temps à dormir. Peu à peu, elle s’intéresse à son environnement, aux discussions avec son oncle et sa clientèle, et ouvre, enfin, un roman. Un nouveau langage s’offre à elle, de multiples mondes la happent, Takako entre dans la lecture et dévore sans compter les ouvrages qui lui tombent sous la main. Ses lectures lui permettront de réfléchir à quelle direction donner à son avenir, , lui apporteront une sérénité bienvenue et ouvriront une parenthèse enchantée dans la grisaille de sa vie.

Satoshi Yagisawa utilise les codes de la feel-good littérature et les apprête avec un art tout japonais, celui de la discrétion et de la retenue : au Japon, on n’ennuie pas les autres avec ses désespoirs et ses ennuis. Takako subit un immense chagrin d’amour (au passage, on peut noter la facilité agaçante des hommes à s’amuser alors qu’ils savent qu’ils ont en attente une union arrangée), elle n’en dit rien, elle tait sa douleur sans pour autant éviter la longue descente vers l’enfer de la dépression. Quand l’auteur envoie son héroïne dans l’univers, tout d’abord surprenant et décalé pour elle, du quartier des librairies d’occasion, on ne peut que souhaiter qu’elle rebondisse et qu’elle retrouve goût à la vie et à la vie sociale. Ce qu’elle fait au fil des échanges qu’elle a avec son oncle et la clientèle. Le microcosme du quartier est un havre de paix et un monde de surprises. Que Takako trouve enfin un amour digne d’elle ! On y croit, on l’espère et là, l’art de tout suggérer en quelques scènes et non-dits , maîtrisé par l’auteur, permet à l’histoire de ne pas sombrer dans la niaiserie. Chaque personnage du roman apporte sa pierre à l’édifice, permet à Takako de se reconstruire sous le regard bienveillant de son oncle. Leur relation est très belle, elle m’a beaucoup émue. Comme celle qu’elle tissera, pour quelques jours, avec sa tante, l’épouse vif-argent de son oncle, lors d’une escapade en montagne. Un moment de grande liberté de ton entre elles deux, presque inconvenante car si peu japonaise. Cette partie du roman peut déplaire. Cependant, elle apporte une autre dimension à l’histoire : le goût de la liberté, la saveur piquante d’une prise en main, assumée, de son destin, la senteur ténue du pas de côté permettant d’oublier les autres et d’être un brin égoïste. Ainsi, Takako devient une jeune femme accomplie, armée pour faire, de nouveau, face au monde et d’y reprendre, sans peur, sa place.

« La librairie Morisaki » est un roman qui, certes, fait du bien avec son côté « feel-good » sans se complaire dans ses codes éculés … bien au contraire. J’ai passé un excellent moment de lecture en me disant que les livres sont, vraiment, les acteurs de consolation. D’ailleurs, je dis souvent que lire me console de la noirceur du monde, même si certaines de mes lectures peuvent être sombres.

Traduit du japonais par Débora Pierret Watanabe

Quelques avis :

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Le printemps de Sakura

Sakura vit à Tokyo avec, Guillaume, son papa français, elle a huit ans et a perdu, Chinami, sa maman japonaise un jour de pluie. Depuis, son père l’élève seul, un peu débordé et cependant à l’écoute. A l’école, certains élèves la traitent de hâfu, métis en japonais, cela la peine et la fait réfléchir.

Quelque temps plus tard, le papa est appelé, pour raisons professionnelles, à se rendre en Inde plusieurs semaines. Pour une fois, Sakura n’ira pas en France dans sa famille paternelle mais chez sa grand-mère maternelle, dans un joli village de bord de mer. La fillette a un peu peur : elle ne connait pas vraiment sa grand-mère et surtout elle ne maîtrise pas le japonais … alors comment faire pour échanger avec sa Obaa pendant l’absence de son père? Et puis … pourra-t-elle se faire des amis, elle, la hâfu ? Le papa, rassurant, lui raconte comment il a rencontré sa maman, comment il est tombé amoureux d’elle et du Japon, comment ses beaux-parents l’ont accueilli avec bienveillance bien qu’il fût étranger. C’est sans compter aussi sur la personnalité adorable de Obaa, une mamie qui sait donner à la vie toutes ses belles couleurs.

Dans son journal intime, offert par son papa, Sakura chronique des journées, décrit ses rencontres, les amitiés naissantes, sa confrontation, tout en douceur, avec la culture japonaise. Peu à peu, elle s’imprègne de ce qui a construit sa mère et apprend, grâce à sa obaa comment remplir le vide de l’absence maternelle et à surmonter son chagrin.

« Le printemps de Sakura » est un roman graphique d’une grande poésie, empreint d’émotions et de résilience. Les aquarelles de Marie Jaffredo décrivent un moment d’une vie émouvant au cours duquel le temps s’écoule doucement et paisiblement. Chaque jour apporte un élément permettant de surmonter le deuil, les petits riens du quotidien sont une offrande au souvenir de Chinami dans le cœur de sa petite fille Sakura, fleur de cerisier. Des liens solides se tissent entre la grand-mère et sa petite fille que ce soit lors d’une pêche à pied, l’entretien du jardin, la confection de plats. La vie s’écoule au rythme paisible de la campagne, à l’écoute de la nature, des kamis, dans la joie des plaisirs simples d’une vie traditionnelle. La poésie des sens est omniprésente : l’expérience du bain public, l’odeur des embruns, le bruissement des arbres, le chant des roseaux, les saveurs de la cuisine japonaise.

« Le printemps de Sakura » est tout simplement beau, doux et émouvant et je dirais même plus …. sublime. Merci aux participants de la BD de la semaine de m’avoir fait découvrir cette lecture.

Quelques avis :

HildeEimelleMaggieNathalieBabelio

Lu dans le cadre

Le récapitulatif des chroniques des participants à la BD de la semaine est chez Noukette.

Côté polar·Littérature française

Malgré toute ma rage

Voilà un roman noir comme je les aime : bien ficelé de bout en bout, une intrigue prenante et tendue jusqu’à la fin, une scène d’ouverture très violente instillant immédiatement un sentiment d’angoisse chez le lecteur.

Quatre amies, Juliette, Chloé, Manon et Thaïs, encore mineures, s’offrent leurs premières vacances sans leurs parents à l’autre bout du monde, en Afrique du Sud. Une liberté exaltante, loin de leur milieu parisien et germanopratin. Elles logent dans une superbe villa située dans un quartier sans risque du Cap, les quinze jours de villégiature commencent sous les meilleures auspices malgré la présence d’un ami d’une des mères de famille, un ami qui leur paraît un peu glauque. Le séjour pourrait se dérouler sans histoire, or il n’en est rien : une des jeunes filles disparaît.

Une enquête est ouverte par la police du Cap, les recherches s’enlisent, la peur monte d’un cran tandis que le mystère entourant la disparition d’une des adolescentes s’épaissit. L’horreur atteint son paroxysme quand les recherches aboutissent.

Jérémy Fel met en scène, avec maestria, des personnages contrastés, parfois d’emblée odieux devenant au fil du récit plus nuancés, parfois lumineux et salvateurs dans la noirceur ambiante.

Il fait parler chaque personnage important dans l’intrigue au cours de chapitre-étape permettant au lecteur de trouver les morceaux du puzzle. Les pistes sont retorses, l’auteur dissèque, à travers elles, le mal tapi en chaque individu, un mal qui peut jaillir ou rester muet. Son exploration du mal est tellement incisive qu’elle en donne la nausée, elle va jusqu’au bout de l’innommable et de l’inconcevable. L’origine du mal est-il contenu dans un agent pathogène ? Les banales transgressions quotidiennes, les cruautés gratuites, l’égoïsme exacerbé, peuvent-ils aboutir à des actes d’une atrocité indicible perpétrés par des êtres humains sur leurs semblables ? Des êtres humains ordinaires deviennent-ils, en quelques transgressions banalisées, des monstres pervers ? L’Histoire récente l’a prouvé … oui des hommes et femmes ordinaires peuvent basculer dans une cruauté et une folie sanguinaire en un rien de temps.

Jérémy Fel livre une histoire, horrible, épouvantable, sans rien épargner au lecteur. Il joue avec ses nerfs, ses peurs intimes, sa morale, son empathie en parsemant son roman de références aux films d’horreur classiques. Des références qui parlent même aux lecteurs, comme moi, qui fuient films ou romans d’horreur : la scène où une des adolescentes se rend dans la dépendance où se trouve le sèche-linge et où une fenêtre claque, où elle se rend compte que s’il lui arrivait quelques chose personne ne l’entendrait, renvoie à une scène classique de film d’horreur. Même si l’auteur joue avec les codes horrifiques, l’effet est immédiat : on éprouve une peur irrépressible et incontrôlable. En tout cas, moi, j’ai été embarquée dans la noirceur de certains personnages sans être dans la capacité de les juger implacablement, ils ont quelques circonstances atténuantes qui nuancent leur personnalité. D’autres, par contre, ne m’ont inspiré aucune compassion. C’est ce qui fait toute la réussite du roman, l’ambivalence, le parcours de vie amenant à la monstruosité.

Avec du recul, l’histoire de « Malgré toute ma rage » ressemble étrangement à une tragédie grecque dans laquelle les Atrides auraient la part belle. D’ailleurs, lors de la rencontre auteur chez ma libraire, Jérémy Fel a parlé de son roman comme étant l’histoire des Atrides germanopratins ce qui est une parfaite illustration du drame qui s’est joué au cours du récit.

«Malgré toute ma rage » est un roman époustouflant, éprouvant mais extraordinaire à lire. En refermant le roman sur l’ultime phrase saisissante, je me suis dit qu’il n’y avait pas que les auteurs américains à pouvoir écrire de roman noir aussi bien construit. Ce roman est un véritable coup de cœur !

Quelques avis :

Babelio