Littérature canadienne·Science Fiction

Lorsque le dernier arbre

Le prologue est explicite et glaçant. Nous sommes en 2038. Depuis deux décennies, la disparition des forêts primaires, des arbres, ces poumons verts de la planète Terre, provoque le déclin de l’humanité. Le monde est peu à peu transformé en désert, la poussière règne quasiment sur tout le globe, apportant misère, désespoir, maladies respiratoires aux êtres vivants. Le Grand Dépérissement ronge les sociétés humaines et la nature qui tente de survivre coûte que coûte. Les arbres, dont l’adaptation aux nouvelles conditions climatiques est lente, se font coloniser par les insectes parasites qui précipitent vers la mort. Dans ce monde précédant l’apocalypse, seuls de rares privilégiés peuvent profiter de l’air pur en séjournant, à prix d’or, près de la Cathédrale arboricole de l’île de Greenwood. Cette île paradisiaque trône non loin des côtes de la Colombie-Britannique, au Canada, accueille les nantis en mal d’air pur, en mal de verdure pour qu’ils puissent de retrouver, se réparer, peut-être se transformer et se rappeler que le cœur, jadis vert, de la planète n’a pas cessé de battre. Espoir vain quand malgré le Grand Dépérissement la course aux profits et à toujours plus d’argent bat toujours son plein ? D’autant plus que Greenwood leur délivre un message mensonger, message que Jake Greenwood doit leur servir, prémâché, en tant que guide forestière. Jake, désabusée, blessée par l’exploitation de l’île et de sa dernière forêt primaire, croule sous les dettes après des études en dendrologie. Elle sait que le mensonge est honteux, elle se tait parce qu’elle doit rembourser ce qu’elle doit et vivoter. Jusqu’au jour où elle envoie tout promener après avoir repérer des zones de brunissement des aiguilles sur quelques arbres de l’île.

A partir de là, l’auteur, Michael Christie, m’a embarquée dans une saga familiale extraordinaire, titillant ma curiosité sur les événements du hasard qui ont construit la famille Greenwood dont chaque membre a son histoire propre. Le cœur du récit est l’histoire de deux jeunes garçons rescapés d’une catastrophe ferroviaire, en Colombie-Britannique, en 1908. Les villageois les recueillent, tout en s’en méfiant, et les confient à une dame cloîtrée depuis des années chez elle – peu à peu on en apprendra la raison – qui les relègue dans une cabane éloignée de sa maison. Harris et Everett grandissent, tels des sauvageons, livrés à eux-mêmes et tissant entre eux des liens profonds d’une affection indéfectible. Sauf que la vie les séparera : Harris deviendra un magnat du bois, un massacreur de forêts primaires pour répondre à l’urgence de la reconstruction à travers le monde. Comment ? En vendant, sans remord aucun, la forêt dans laquelle il a grandi pendant la Grande Dépression. Everett aura un destin plus sombre, mais, à mon avis, plus flamboyant et lumineux, ravagé par les séquelles de la guerre 14-18, devenu errant pouilleux lors de la Grande Dépression et des années sombres qui ont suivi, il rencontrera Willow, un bébé trouvé accroché à une branche d’érable, à qui il s’attachera tel un père à son enfant et fera tout, quitte à en subir les conséquences, pour lui trouver un foyer stable et confortable. Le temps fera le reste car, comme il le souligne souvent « Le temps et moi avons nos petits arrangements ».

Michael Christie fait découvrir ses personnages au fil des chapitres, Harris et son cynisme, sa vie cependant étrange comme s’il gardait au fond de lui sa passion profonde pour les arbres, êtres du règne végétal tellement somptueux, narrant à la largeur de leur tronc l’histoire du monde et des hommes. Ces arbres qui, même coupés, débités en planches et assemblés pour créer des meubles, des escaliers, des poutres, restent vivants après leur abattage. Everett et son mal-être, peut-être sa tristesse de s’être éloigné de son frère, sa plongée dans l’enfer de l’alcool et de l’errance, sa vie en prison pour avoir décidé de protéger Willow, saule en anglais, symbole de l’immortalité dans la mythologie orientale, de la fertilité, aux vertus médicinales connues depuis l’Antiquité. Willow qui deviendra une jeune femme rebelle, activiste écologiste dont l’amour des arbres dépassera celui pour son fils.

Peu à peu, l’auteur dévoile les hasards qui ont construit les Greenwood, les entrelacs relationnels dont sera issue Jake. Le point commun de ces êtres, que rarement les liens du sang unissent, est l’arbre, ses racines et sa canopée parfois vertigineuse. Ils sont tel un arbre aux ramifications multiples et disparates, un tout hétéroclite et unique que le temps laisse croître. Le temps des arbres et des hommes s’écoule différemment, le temps est un des personnages principaux du roman. « Ils sont plus vieux que nos familles et que la plupart de nos noms. Plus vieux que nos formes actuelles de gouvernement, plus vieux même que certains de nos mythes et courants d’idées ».

« Lorsque le dernier arbre » est un roman très dense, protéiforme et vibrant de mille et une émotions. Michael Christie montre combien lors des périodes sombres de l’histoire, le catastrophisme est le même, les visions identiquement sombres que ce soit lors de la Grande Dépression de lors du Grand Dépérissement. Le roman dystopique permet de mettre en avant que les conséquences psychologiques d’une adaptation permanente à un milieu hostile, de décrire les batailles et les solidarités qui se mettent en place lors des périodes apocalyptiques où les hommes font preuve du pire comme du meilleur. Les hommes sauront-ils appliquer ce que dit souvent Everett « Le meilleur moment pour planter un arbre c’était il y a vingt ans. Le second meilleur moment, c’est maintenant. » Et une bouffée d’espoir et d’oxygène m’a rempli les poumons.

Certes, « Lorsque le dernier arbre » est un roman sombre et parfois pessimiste, cependant une note d’espoir est présente dans le sens où acculé, l’être humain pourrait être capable de miracle.

Une lecture passionnante et émouvante, remplie de secrets de famille, qui m’a emportée dans son souffle proche de l’épopée (la scène de la tornade cyclonique emportant dans sa spirale infernale dix mille livres de la bibliothèque d’une ferme canadienne).

Traduit de l’anglais par Sarah Gurcel

Quelques avis :

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Les premières lignes·Littérature canadienne

Les premières lignes #11

Sur une idée de Ma lecturothèque, chaque semaine je prends un livre dans ma bibliothèque et je recopie ses premières lignes.

Aujourd’hui, les premières lignes d’un roman qui me fait de l’oeil depuis près de deux ans, au point que j’en ai fait ma dernière lecture de l’année 2023. Il s’agit du roman de Michael Christie « Lorsque le dernier arbre ».

Dans ce roman aux accents douloureux d’une canopée en voie de disparition, Michael Christie montre combien les arbres sont d’une importance vitale pour la vie sur Terre et combien l’homme est passé maître dans l’art de détruire son environnement.

Résumé

« Le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s’accumule, c’est tout – dans le corps, dans le monde -, comme le bois. Couche après couche. Claire, puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d’avant. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure. »
D’un futur proche aux années 1930, Michael Christie bâtit, à la manière d’un architecte, la généalogie d’une famille au destin assombri par les secrets et intimement lié à celui des forêts.
2038. Les vagues épidémiques du Grand Dépérissement ont décimé tous les arbres et transformé la planète en désert de poussière. L’un des derniers refuges est une île boisée au large de la Colombie-Britannique, qui accueille des touristes fortunés venus admirer l’ultime forêt primaire. Jacinda y travaille comme de guide, sans véritable espoir d’un avenir meilleur. Jusqu’au jour où un ami lui apprend qu’elle serait la descendante de Harris Greenwood, un magnat du bois à la réputation sulfureuse. Commence alors un récit foisonnant et protéiforme dont les ramifications insoupçonnées font écho aux événements, aux drames et aux bouleversements qui ont façonné notre monde. Que nous restera-t-il lorsque le dernier arbre aura été abattu ?

Les premières lignes

2038 … La Cathédrale arboricole de Greenwood

Ils viennent pour les arbres.

Pour respirer leurs aiguilles. Caresser leur écorce. Se régénérer l’ombre vertigineuse de leur majesté. Se recueillir dans le sanctuaire de leur feuillage et prier leurs âmes millénaires.

Depuis les villes asphyxiées de poussière aux quatre coins de globe, ils s’aventurent jusqu’à ce complexe arboricole de luxe – une île boisée du Pacifique, au large de la Colombie-Britannique – pour être transformés, réparés, reconnectés. Pour se rappeler que le coeur vert jadis tonitruant de la Terre n’a pas cessé de battre, que l’âme du vivant n’a pas encore été réduite en poussière, qu’il n’est pas trop tard, que tout n’est pas perdu. Ils viennent ici, à la Cathédrale arboricole de Greenwood, pour gober ce scandaleux mensonge, et le travail de Jake Greenwood, en tant que guide forestière, consiste à le leur servir prémâché.

Alors, tenté(e)?

La bibli des p'tits chats (ados)·Les classiques c'est fantastique·Littérature canadienne·Littérature classique

Anne de Redmond

Les classiques c’est fantastique ont consacré le mois de septembre à la littérature jeunesse. Initialement, j’avais prévu de relire un roman de George Sand pour finalement préférer traverser l’Atlantique et me plonger dans la suite des aventures de la pétillante Anne Green Gables dont je suis les aventures avec délice.

J’ai pris le tome 3 du cycle, « Anne de Redmond » (j’ai lu l’an dernier le tome 2 mais ne l’ai jamais chroniqué), heureuse de retrouver ma joyeuse héroïne de l’île du Prince Edouard.

Anne, la fillette exubérante et follement romantique, aux longues tresses rousses a bien grandi. Matthew Cuthbert est décédé, Marilla a dévoilé quelques secrets de son passé. Avant sa mort, Matthew, accompagné de Marilla, a profité d’un séjour sur le continent pour enquêter sur les parents d’Anne afin de lui apporter réconfort et espoir.

Anne a donc grandi et mûri. Elle a passé une année à enseigner dans son ancienne école d’Avonlea, à dispenser son savoir et sa pétillance auprès de ses petits élèves. Elle a rencontré des gens aussi étranges que charmants, alimentant ainsi sa fantaisie et ses aspirations à la beauté des choses. Elle œuvre pour l’embellissement de la ville avec la société qu’elle a fondée avec ses amis d’école.

Les enfants deviennent des adolescents puis de jeunes adultes. Anne peut réaliser son rêve d’entrer à l’université et s’inscrit à Redmond en compagnie de ses amis d’enfance Priscilla, Gilbert et Charlie. Anne quitte son île, Marilla, Mme Lynde, l’inénarrable commère au grand cœur devenue veuve, et les jumeaux Dora et Davy. Il y a du déchirement et de l’enthousiasme dans le départ d’Anne. Une infinie de possibles s’offrent à elle pouvant étancher sa soif d’apprendre, enthousiasme assombri à l’idée de laisser, pendant plusieurs mois, les siens et son amie Diana Barry.

« Anne de Redmond » est le roman de l’entrée dans l’âge adulte de notre jeune héroïne. Elle ne veut pas entendre parler mariage, elle rêve toujours à la rencontre romantique avec l’homme de sa vie. C’est également le moment de sa vie où elle noue de nouvelles amitiés portes ouvertes sur d’autres horizons. On assiste au quotidien estudiantin, aux soirées à l’université, on découvre le nom donné aux premières, deuxièmes et troisièmes années, on est pris dans le tourbillon, amusant et léger, d’une jeunesse qui a l’avenir devant elle. Elle apprend à voler de ses propres ailes, à regarder la voie qu’elle a choisi de suivre et à faire en sorte d’y arriver.

Certes, il ne se passe pas grand chose dans ce troisième opus, cependant je me suis laissée prendre à la narration, aux scènes décrites, à ces touches discrètes annonçant la fin de l’adolescence, la fin des années d’insouciance, la fin d’un âge de la vie.

Anne est toujours en dehors de la norme avec son charme décalé qui attire autant qu’il fait fuir. L’auteur, Lucy Maud Montgomery, peint avec justesse le moment fugace et tellement riche précédant l’entrée dans le monde des adultes, ce monde avec ses choix et ses responsabilités. La plume de l’auteur trempe dans l’encre de la mélancolie d’une enfance dont les contours s’estompent pour peu à peu disparaître. Sous l’apparence tranquille voire figée du récit, des rides discrètes remuent l’eau de la nostalgie, ces risées préparent Anne aux choix qu’elle sera amenée à arrêter. Elle a moins recours à son imagination mais elle rencontre l’homme idéal … du moins le croit-elle. « Toutes les choses précieuses se révèlent tardivement,/ A ceux qui les cherchent désespérément,/Car l’Amour oeuvr dans l’ombre de la Destinée,/ Et levant le voile, découvre des trésors cachés » (Tennyson, cité en incipit du roman). Ce qui m’a fait sourire, c’est le fait qu’Anne soit confrontée, régulièrement, à l’écart qu’il y a entre ce qu’elle a imaginé, ce qu’elle a embelli par son imaginaire romantique, et ce qu’elle vit réellement. Les subtiles différences la guident vers l’âge adulte tout en lui soulignant combien il est important de conserver une part, indéfectible, d’enfance. Elle rêve d’un amour absolu et pur, le cherche longtemps avant de comprendre que c’est inutile car il est souvent tout à côté de soi. Anne possède quelque chose de précieux : un imaginaire débordant, un sens de l’entraide et surtout une vision optimiste du monde, et ce sans niaiserie notamment quand elle est confrontée à la maladie incurable, la tuberculose, de Ruby Gillis, une amie d’enfance. « Anne de Redmond » a la saveur de l’enfance qui s’efface, la saveur d’une friandise acidulée et se savoure à l’aune de ces sensations quand on est avec Anne et ses amies dans la Maison de Patty où les chemins fleuris laissent vagabonder son esprit. La Maison de Patty est le prolongement de Green Gables, un prolongement plus mâture mais non moins poétique.

Traduit de l’anglais par Laure-Lyn Boisseau-Axmann

Quelques avis :

Babelio Mademoiselle lit Mokamilla

Lu dans le cadre

Le bilan « Jeunesse éternelle » est chez Fanny