Fantastique Fantasy·Littérature française

La quinte geste

J’ai reçu ce roman dans le cadre d’une opération « Masse Critique : le mauvais genre ». Il m’avait intriguée tant par son titre, intriguant, que par sa couverture, peu commune et j’ai eu l’heur de le recevoir.

La geste est « un ensemble de poèmes en vers du Moyen-Âge, narrant les hauts faits de héros ou de personnages illustres », Estelle Tolliac n’use pas de vers mais d’une très belle narration en prose reprenant les codes de l’épopée en une geste chorale qui mêlera le destin de cinq personnages et relatera leurs hauts faits. Quel est le lien entre une princesse, ultime espoir d’un peuple disparu, une fugitive à la blanche chevelure poursuivie, sans pitié, par des hordes de soldats aveugles, un trouvère misanthrope, une étrange Altesse « miroir », une héritière décidée à conserver ce qui revient à sa lignée et une future reine asservie aux lois patriarcales? C’est ce que relate l’autrice dans un formidable roman qu’on ne lâche pas une fois commencé.

« La quinte geste » se déroule en cinq temps, cinq histoires, dans un monde médiéval imaginaire, qui se rejoignent autour d’Aigle, un jeune trouvère des îles Salines. Son histoire croise sans cesse quatre autres pour amener les uns et les autres à combattre le peuple des Antharites dont les guerriers aveugles ravagent le Continent par leurs raids sauvages et incessants. Lorsqu’il rencontre Ysèle, lors d’un séjour en prison, il s’aperçoit que les Antharites entreprennent une campagne de conquête du monde et qu’ils recherchent une femme et un bébé. Le mystère s’épaissit d’autant plus que l’autrice interrompt le récit pour en commencer un autre qui apportera de quoi combler les blancs du précédent. Chaque geste répond aux autres en un chant choral de manière magistrale. Chaque geste m’a transportée dans un univers particulier qui m’a aidée à comprendre l’ensemble du roman. La force d’évocation de l’écriture d’Estelle Tolliac est d’une grande beauté, tout y est juste, mesuré avec brio pour que l’intensité dramatique soit amenée au bon moment.

L’univers créé par l’autrice invite également à s’attacher aux personnages et à s’interroger sur ce qui fait notre humanité, ses aspects sombres comme ses côtés lumineux. Le désir irrépressible de domination de l’autre, et ce jusqu’à l’annihilation, d’un peuple sur les autres, la sauvagerie exercée sur la nature comme sur les êtres humains. Ou encore, l’interrogation sur le genre : être femme est-ce être esclave du patriarcat le plus dur ? Peut-on être à la fois homme et femme ? Ysèle, l’Altesse philite, devient un élément de réponse …. et si ce n’était qu’une question de point de vue ou de l’image que l’on souhaite renvoyer à l’autre ? « La quinte geste » renvoie aussi à la question de l’individualisme, forcément égoïste, que ressent souvent Aigle, face à la noblesse des sentiments dont il fera, aussi, preuve au moment où on s’y attendra le moins. Quoique Aigle est tout sauf un personnage froid et insensible, il a érigé des défenses autour de lui pour ne pas sombrer dans le désespoir.

« La quinte geste » est un roman rythmé, avec des coups de théâtre, des rebondissements inattendus, des voies improbables, des moments d’intense émotion, de la dramaturgie, des points d’orgue et une quête primordiale qui relancent le récit.

Je ne connaissais pas du tout l’autrice Estelle Tolliac, je n’avais jamais rien lu d’elle et j’ai été captivée par sa plume incisive et d’une grande richesse. Son style est agréable, elle sait trouver les mots justes, les descriptions qui permettront une immersion dans son univers. Il n’y a rien à enlever ou à ajouter, c’est umami : toutes les saveurs de l’épopée héroïque sont présentes pour parvenir à ce sentiment de plénitude.

Une très belle découverte offerte par Masse Critique de Babelio et les éditions Forgotten DREAMS, découverte donnant envie de lire les précédents romans de l’autrice.

Quelques avis :

Babelio

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#Un mois au Japon·Littérature japonaise·Poésie

Le troisième jeudi, c’est poésie #8

Pour ce rendez-vous mensuel, je vous emmène au Japon car chaque mois d’avril je dépose ma valise immobile au Pays du Soleil levant. Il y a 3 ans, j’ai acheté un recueil de haïkus sur le thème « Instants du quotidien ». Je vous en offre quelques uns aujourd’hui.

Les couleurs de l’arc-en-ciel
dans la mousse du shampooing –
Le printemps commence.

Chizuko Tokuda (poétesse contemporaine)

La pointe de l’aiguille

cassée

des cailles carcaillent

Les volubilis

enserrent le seau du puits

je demande à mon voisin de l’eau

Chiyo-Ni (nonne bouddhiste et poétesse japonaise de la période Edo.)

Etoiles d’été –

je pense à une lettre

que je voudrais donner à ma fille

Minako Tsuji (poétesse née en 1965)

Sous mon balai

rampant hors des débris

une abeille d’hiver!

Madoka Mayuzumi (poétesse née en 1962)

Dans le cadre

LaBD de la semaine·Non fction/ Essai·Roman graphique/BD

La petite bédéthèque des savoirs, T22: le libéralisme

Cette semaine est consacrée aux bulles documentaires et, bien ennuyée par le thème, je suis allée demander conseil auprès des bibliothécaires de la médiathèque. Elles m’ont présenté le seul tome, sur les étagères, de la « Petite bédéthèque des savoirs » aux éditions du Lombard : « Le libéralisme » écrit par Pierre Zaoui, professeur de philosophie, et mis en images et couleurs par Romain Dutrex.

L’objet en lui-même est très agréable, la couverture est géniale et donne envie d’ouvrir l’ouvrage. Je me suis donc lancée.

Vous saurez tout sur le libéralisme en lisant cet opus, érudit mais pas trop, vulgarisant avec efficacité les notions contenues dans le libéralisme. Les illustrations, très drôles et colorées, sont au service du texte, parfois ardu, et permettent au béotien de ne pas fermer le l’album.

D’emblée, j’ai été confrontée à la polysémie du mot « libéralisme », tellement polysémique qu’il en devient abstrait et un véritable fourre-tout. J’ai suivi, tant bien que mal, les premières théories du XVIIIè siècle, accompagnée par les mânes de David Hume et de Montesquieu. Ces derniers ont aussi bien du mal à comprendre les multiples nuances du libéralisme : entre le début de l’industrialisation, en passant par la Révolution russe, le programme économique du Parti communiste chinois, François Fillon, Emanuel Macron et les migrants du XXIè siècle en quête de libertés, il y a de multiples déclinaisons aussi contradictoires qu’antagonistes. Nos deux fantômes en goguette cherchent à comprendre comment le monde en est arrivé là. Ils en lisent des livres au point qu’ils squattent une librairie des heures durant ! Ils se désespèrent en constatant que le libéralisme qu’ils avaient imaginé est devenu tellement protéiforme qu’on ne peut le résumer en quelques mots.

Au commencement, tout allait bien : le libéralisme était un moyen pour obtenir une paix perpétuelle grâce aux libertés et aux échanges tant économiques que culturels. Rapidement, le libéralisme part dans toutes les directions, oubliant par-ci une once d’humanisme, ajoutant par-là une dose d’égoïsme. Pourtant de loin, « les libéraux sont tous différents, des esprits libres et des individus singuliers » …. de loin seulement car il suffit d’ôter les masques pour que derrière s’affiche le même désir du profit, un profit pas vraiment pour le bien commun. Alors quand l’idée, très belle au départ, du libéralisme a-t-elle dérapé ? Sans doute lorsque le libéralisme est devenu un concept-monde où tout est tellement imbriqué que son côté émancipateur se transforme en système aliénant.

Nos deux revenants s’interrogent « Où ça a merdé ? » et Montesquieu de lire à haute voix un passage édifiant « Autrement dit, la finalité des premiers libéraux – la paix – les a conduit à promouvoir un système aussi efficace que dangereux car risquant à chaque instant de rendre à nouveau la guerre désirable, y compris sous des formes encore pires que celles qu’ils avaient jusque là connues… » Quand ils terminent de compulser les ouvrages sur les guerres mondiales, ils sont consternés et se disent que les hommes sont loin d’être matures pour mettre en place un vrai libéralisme.

Bon, alors, c’est quoi le libéralisme, en vrai ? Issu d’un désir de justice nouvelle et d’une nouvelle soif de l’or. Né d’un désir d’ordre et de révolution, de libération que de soumission des masses au travail, d’un désir de paix et de solidarité avec en corollaire celui de la lutte incessante pour dominer l’autre. D’un côté des idéaux honorables, de l’autre des pulsions horribles et mortifères. De quoi avoir mal au crâne à force de vouloir rendre clair ce qui paraît plus que flou.

Le libéralisme, c’est comme à la Foirfouille, on trouve de tout.

« Le libéralisme » est un opus dans lequel les auteurs font la part belle à l’humour ce qui permet de ne pas perdre le lecteur. L’introduction de Pierre Zaoui donne des bases pour comprendre le discours tenu dans le documentaire. Le glossaire est très bien ciblé et est accompagné par un index des théoriciens, des économistes, des philosophes cités dans l’ouvrage.

Une bédé documentaire intelligente que j’ai pris plaisir à lire.

Quelques avis:

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Quelques images:

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D’autres bulles à découvrir et à lire chez Fanny.

#Un mois au Japon·Chat m'plaît·chatperlipopette's chat-lon·La cuisine de Chatperlipopette

Tempura de légumes

(crédit photo: internet)

L’an dernier, alors que je savourais la lecture de « Un sandwich à Ginza » de Yôko Hiramatsu, je salivais en lisant ses descriptions de tempura dégustés dans les restaurants et autres gargotes forts sympathiques de Tokyo ou d’ailleurs au Japon. Je reportais sans cesse mes essais de tempura et à force de procrastination j’ai laissé passer une année. Avril 2024 sera le mois du tempura.

La pâte à « beignets japonais »

125g de farine tamisée

50g de fécule de pdt/maïs/crème de riz

250g à 300g d’eau très froide

1 CS de substitut végétal d’oeuf entier

1/2 sachet de levure chimique

1 pincée de sel

La recette

Mélanger les ingrédients de la pâte à tempura jusqu’à l’obtention d’une pâte lisse. Mettre au réfrigérateur au moins 30′.

Pendant ce temps, préparer les légumes que vous souhaitez déguster en tempura. J’ai choisi de la courgette, des shitakés, de la courge bleue de Hongrie et de l’oignon.

Les détailler en tranches fines.

Mettre l’huile à chauffer dans le wok et quand la température est idéale, tremper les tranches de légume dans la pâte et la mettre, du bout du couteau, à frire quelques minutes.

Savourer chaud avec du riz à sushis aux algues.

Pour une première ce fut une réussite (bien que la photographie ne rende pas justice au plat). J’ai ajouté du tofu nature que j’ai fait en tempura également, histoire d’avoir un peu de protéines. La recette du riz aux algues est celle du riz pour sushis auquel, une fois cuit et tiédi, j’ai ajouté quelques pincées de laitues de mer et de morceaux de wakamé.

Dans le cadre

#Un mois au Japon·Littérature japonaise·Manga

Le vieil homme et son chat

Dans une petite ville côtière japonaise, loin du fracas des grandes villes, la vie s’écoule paisiblement pour ceux qui ont choisi de rester au calme. Il y a plus de personnes âgées que de jeunes gens, ces derniers attirés par les mégalopoles japonaises et leurs perspectives alléchantes quittent la quiétude provinciale pour travailler au loin.

En bord de mer, dans ce coin tranquille, un vieil homme et son chat prennent le temps de vivre et de vieillir. Leur quotidien est fait de joies simples, chacun veillant sur l’autre.

Daikichi est veuf depuis quelques années, il est instituteur à la retraite et n’a jamais quitté sa petite ville côtière. Avec son épouse, dite Mémé, il a recueilli un chaton, devenu un bon gros chat placide, appelé Tamasaburô en hommage au célèbre acteur Tamasaburô Andô que Mémé admirait beaucoup. Mais tout le monde l’appelle Tama. Il coule des jours paisibles au rythme de ses promenades quotidiennes au cours desquelles vieux souvenirs, anecdotes amusantes remontent à la surface. Daikichi, finalement, se débrouille bien malgré son veuvage, lui qui ne s’occupait de rien à la maison, il cuisine, il fait ses courses, son ménage et a refusé d’aller vivre chez son fils et sa belle-fille. Il essaie de cuisiner comme son épouse avec plus ou moins de réussite.

Les chats sont présents à chaque page, tels des divinités bienveillantes observant et prenant des hommes. D’ailleurs, n’apprend-t-on pas que Mémé, au moment de quitter ce monde, a demandé à Tama de veiller sur Pépé ? Tama est un personnage haut en couleurs, comme son vieux maître. Tous les deux dialoguent inlassablement sur l’air du temps, le paysage, les petits riens du quotidien. C’est Tama qui indique le moment de mettre en place le poêle et les chaufferettes sous la table, lorsque l’hiver pointe son nez. Tama, le facétieux et goguenard chat qui ne s’en laisse pas compter tout en aimant, profondément, le vieux Daikichi.

Les personnages secondaires sont aussi attachants que nos deux héros, tout le monde veille sur tout le monde, sans en avoir l’air : ainsi le jeune facteur n’est-il jamais bien loin, prêt à intervenir.

« Le vieil homme et son chat » est le récit d’un Japon traditionnel, oublié par la modernité, est la description d’un art de vivre au rythme des saisons où la lenteur est un bienfait. L’atmosphère est celle que l’on retrouve dans les œuvres de Taniguchi ou celles de Miyazaki, empreinte de nostalgie, d’humour et de tendresse. D’ailleurs les aquarelles sont douces et magnifiques. En lisant ce manga, le temps s’arrête, on s’asseoit sur le porche d’une maison traditionnelle et on s’imprègne d’une vie paisible dans laquelle l’émotion sous-tend chaque petit rien.

« Le vieil homme et son chat » est un manga que les amoureux des chats adoreront, que les autres apprécieront également tant la poésie et l’émotion sont présentes, et ce avec délicatesse.

Les petits riens font toujours de très jolies histoires.

Traduit du japonais par Ryoko Sekiguchi et Wladimir Labaere

Adaptation graphique : Vincent Lefrançois

Quelques avis :

Babelio

Lu dans le cadre

Littérature française·Poésie

L’exil n’a pas d’ombre

Chaque année, à l’occasion du Printemps des poètes, j’achète, chez ma libraire, un ou deux recueils de poésie. Cette année, mon regard a été accroché par un recueil poétique de Jeanne Benameur, autrice que j’apprécie beaucoup, « L’exil n’a pas d’ombre précédé de La géographie absente ».

Que dire de ce recueil sinon qu’il est sublime de sensibilité, de courage, d’opiniâtreté et de questionnements sur la liberté, toutes les libertés.

« La géographie absente », celle d’une Afrique du Nord que l’on quitte précipitamment, est un long poème en prose sur la douleur de l’abandon d’une terre qui vous a vu grandir. Les valises que l’on ferme, un livre aux pages déchirées, les armoires que l’on vide, la maison que l’on déserte parce qu’il est impossible de rester. Une tragédie et un choc quand « on ne sait pas voyager » quand « on est pauvre de pays », quand la voix des mères n’est plus, quand les mères n’ont plus les mots pour expliquer ce qui est, ce qui advient. Que faire quand les mères se taisent, ne peuvent plus transmettre ? Refuser l’ombre pour retrouver la lumière, celle de l’enfance et de son insouciance qui dissimule tant de questions. La lumière de ce qui sera car l’enfant ne se retourne pas sur le passé, tout en gardant son souvenir, mais regarde devant lui, malgré la tristesse de l’arrachement. Et puis …. il y a les signes qu’on écrit, qu’on lit …. qui transportent et transforment l’ombre en lumière.

« Trouver pour chaque mot/ sa forme véritable/ c’était le lent travail/ des mères/ elles apprêtaient le monde/ pour nous. Nous ne savions rien/de leur besogne silencieuse/ sur leurs lèvres, notre enfance muette. »

« L’exil n’a pas d’ombre », celui d’une femme qui quitte son village pour traverser le désert et trouver, au bout, la mer. Celui d’un homme, ombre muette et silencieuse, qui suit la femme en exil. Un homme, une femme, ils marchent séparément, l’un derrière l’autre, une longue marche, un long voyage intérieur. Elle, elle a été chassée après que son livre ait été déchiré, livre grâce auquel elle a accédé au savoir et au langage… c’est impossible, une femme ne doit pas acquérir une telle liberté … alors on l’exile vers un ailleurs où elle n’aura aucune racine, aucune ombre à soi. Les mots s’étirent au rythme de la marche et des pensées de la femme et de l’homme en deux chants de solistes.

« Ils ont déchiré mon unique livre/Je marche./ Ont-ils brûlé ma maison ?/Qui se souviendra de moi ?/Je tape dans mes mains./Fort. Plus fort./Je tape dans mes mains et je crie. Je tape mon talon, fort, sur la terre./Personne ne pourra m’enlever mon pas./Et je tape. Et je tape. »

Je suis entrée dans ces deux récits poétiques avec le rythme particulier des mots, ces mots choisis pour leur justesse et leur force. J’ai été souvent happée par le balancement hypnotique de la marche mise en mots. Une musique proche de la mélopée accompagne la lecture. Il est essentiel de savourer chaque mot écrit, chaque atmosphère offerte, chaque monde dans lequel l’autrice m’a entraînée. Parfois, il n’est pas nécessaire de chercher à tout comprendre dans un texte poétique : la musicalité, la force d’évocation des phrases apportent une grande humanité et un paysage qu’on ne se lasse pas de découvrir.

J’ai trouvé les deux textes très beaux, supportant l’ombre en apportant la lumière de l’espoir et de la ténacité de la vie.

Quelques avis :

Babelio Virginie

LaBD de la semaine·Littérature française·Roman graphique/BD

Céleste: il est temps Monsieur Proust

La dernière partie du diptyque consacré à la relation entre Céleste, la gouvernante, et Marcel Proust, change de registre : après l’idylle viennent les remous du quotidien. L’admiration envers Proust est toujours présente chez Céleste, cependant un grain de sable vient gripper l’ordonnancement des jours. Céleste souhaite évoluer dans sa fonction auprès de l’écrivain tandis que ce dernier rêve de gloire littéraire au point d’en devenir pénible. Rapidement les esprits s’échauffent, l’atmosphère devient tendue et les relations entre Céleste et Proust sont tumultueuses. Rien ne va plus !

Céleste et Marcel parviendront-ils à surmonter les épreuves du quotidien ? Leurs liens en sortiront-ils plus forts ?

Dans un huis-clos passionnant et mené avec brio, Chloé Cruchaudet mène son récit très rythmé, loin du regard contemplatif des deux héros du précédent opus. Céleste est même méconnaissable quand elle revendique une fonction plus en accord avec ce qu’elle gère et avec l’idée qu’elle en a. Elle ne veut plus être une simple servante à tout faire, elle veut être intendante de la maisonnée de Proust. En bon détesteur du changement, Proust rechigne beaucoup, ne comprenant pas les raisons de la demande de Céleste. Résultat, cette dernière quitte Proust en le laissant dans le désarroi le plus total. Marcel ne tiendra pas longtemps et fera dire à Céleste qu’il accepte tout, sans condition. Entre alors en scène la sœur de Céleste dont le rôle sera de gérer la cuisine, la lessive et le ménage.

La vie reprend son cours, Proust et Céleste sont heureux de se retrouver, Céleste est devenue gouvernante-intendante-secrétaire-confidente de son employeur.

Le deuxième tome met plus en avant le quotidien de la maisonnée, notamment un grand bouleversement : celui du déménagement. En effet, l’immeuble où vit Proust a été vendu, ce dernier doit trouver un autre toit. Ce sera Céleste qui aura la charge de dénicher un nouveau nid pour Proust, ce qui ne sera pas facile. Un autre événement, de taille, a lieu : l’attribution du Prix Goncourt à Proust après bien des manœuvres de sa part (j’ai ri devant les scènes où Proust décide d’écrire, lui-même, des critiques positives sur son roman). J’ai beaucoup apprécié les scènes entre les deux sœurs, leur complicité et leurs moments partagés. Jusqu’au bout elles assisteront Proust, le dorloteront, en prendront soin afin qu’il se consacre entièrement à son œuvre.

Les illustrations sont toujours aussi belles et émouvantes, elles m’ont plongée dans l’univers feutré d’un auteur aux nerfs toujours à vif, passant de l’espoir le plus fol au plus profond dépit voire découragement. Elles font que les personnages sont incarnés avec justesse, avec une pointe, bien dosée, d’humour et de tendresse. Ainsi la scène du déménagement absolument fantasque.

La deuxième partie a été à la hauteur de mes attentes… parfaite : j’ai pu lire une belle histoire empreinte d’humanité et dotée d’un verbe magnifique rendant hommage à l’univers proustien.

Quelques avis :

Babelio Mokamilla Gambadou

Quelques planches:

Lu dans le cadre

D’autres bulles à découvrir chez Noukette.

#Un mois au Japon·Chat m'plaît·chatperlipopette's chat-lon·La cuisine de Chatperlipopette

Le mochi

Le dimanche est réservé aux recettes de cuisine, las! aujourd’hui je n’ai pas eu le temps de cuisiner les tempura que je souhaitais proposer au palais gourmand de mon cher et tendre. Ce n’est que partie remise. En attendant, focus sur le mochi, si joliment rond et sensuel.

Le mochi est un gâteau fait à base de riz gluant. Il est obtenu par le pétrissage de riz gluant cuit qui prend alors une consistance de pâte visqueuse, très collante. La préparation est originaire de Chine et a été introduite au Japon, en même temps que la riziculture, vers la fin de la période Jomon qui est l’ère historique la plus ancienne au Japon: elle commence vers -13000 av J.C jusqu’à -400 av J.C.

A l’époque de Heian, il y a près de 1300 ans, c’était un incontournable des offrandes religieuses et des fêtes. Avec le développement de la cérémonie du thé, la pâte de riz gluant a été intégrée dans la composition des pâtisseries japonaises à l’époque du Muromachi, il y a 700 ans. Selon les recherches archéologiques la possibilité de faire des mochi a augmenté depuis le VIè siècle lorsque les marteaux en faïence sont devenus populaires à la fin période Kofun (nom provenant des tumulus funéraires japonais).

Il existe une légende autour des mochi, le texte a été compilé dans des rapports commandés par l’Impératrice Gemmei, en 713, pendant la période Nara (de 710 à 794 ou 784). Ils rapportent les coutumes, l’histoire, les traditions orales et les notes géographiques de chacune des provinces du Japon. Selon le livre « lorsqu’un homme riche a fait un mochi plat à partir du riz restant et lui a tiré une flèche, les mochi se sont transformés en oiseau blanc et se sont envolés, et après cela, le champ de riz de l’homme est devenu désolé et pauvre. Cette légende montre que les anciens Japonais croyaient que les mochi ronds blancs avaient un pouvoir spirituel. » (source Wiki)

Lors de la période Heian (794-1185) le mochi est utilisé dans les événements shinto (accouchement et mariage). Il était usuel chez les empereurs et les nobles de mettre le mochi dans la bouche des bébés de 50 jours. Tout comme il était d’usage, dans la noblesse, que le marié et la mariée mangent ensemble un mochi 3 jours après le mariage. C’est aussi à cette période qu’il devient traditionnel d’utiliser des mochi pour les fêtes du Nouvel An: les empereurs croyaient que les longs fils de la pâte à mochi fraîchement réalisée symbolisaient une longue vie et du bien-être.

On consomme le mochi lors des grandes occasions, notamment pour les fêtes du Nouvel An lunaire. Il est possible de voir la fabrication de la pâte à mochi en pleine rue, cela a toujours un côté festif. Le mochi est considéré comme le réceptacle de l’esprit des divinités, c’est la raison pour laquelle les Japonais, les jours de fête, se rassemblent pour piler du riz cuit et en faire des mochi.

Cette pâtisserie à la texture particulière emporte l’adhésion du palais occidental ou pas. Il n’y a pas de demi-mesure: on aime ou on n’aime pas. Moi, je suis une amatrice de mochi et j’en prépare au moins une fois dans l’année. Je ne pile pas mon riz gluant cuit, j’utilise de la farine de riz gluant, plus pratique et facile à manipuler.

Ma recette est ici.

Dans le cadre:

La bibli des p'tits chats (ados)·Littérature française·Roman graphique/BD

Les yeux fermés

#LesYeuxfermés #NetGalleyFrance

Depuis le mouvement #metoo et la levée du tabou de l’inceste, les témoignages sont de plus en plus nombreux dans la sphère littéraire. La parole enfin libérée permet aux victimes d’entrer en résilience ou d’avancer dans leur reconstruction psychologique.

« Les yeux fermés » est le récit d’une victime d’inceste, Héloïse Martin, mis en images par Valentine de Lussy et scénarisé par Baptiste Magontier. Au-delà de la violence subie, le roman graphique met l’accent sur la vie familiale après le procès.

Emilie, à l’occasion des 50 ans de mariage de ses grands-parents, retrouve sa famille pour fêter l’événement. Or, celui qui a perpétré le crime est également présent, plongeant Emilie dans son passé douloureux. Pourquoi a-t-il été invité alors qu’il a été reconnu coupable de son crime sexuel ? Comment la famille peut-elle encore le laisser côtoyer de jeunes enfants tout en sachant qu’il est pédophile ? Cela dépasse Emilie et la révolte au plus haut point. La tension est palpable, les attitudes des uns et des autres gênantes parce qu’elles oscillent entre le désir de fermer les yeux pour la fête et la compréhension de ce qu’elle a souffert. Peu à peu, on comprend qu’Emilie n’a pas été la seule à subir des attouchements, sa cousine aussi en a souffert. Sauf qu’elle aurait préféré que rien ne transpire, que le secret n’ait jamais été éventé. Elle en veut beaucoup à Emilie d’avoir parlé, elle ne lui pardonne pas la tenue du procès. La grand-mère est également acerbe : elle refuse que la fête soit gâchée par la remontée des souvenirs dérangeants. Le comble de son aveuglement se dévoile lorsqu’elle assène, énervée, de manière cruelle, qu’il a été puni, qu’il a payé sa dette à la société et que tout le monde a droit au pardon. Peut-être …. mais de là à le mettre en présence d’Emilie et de jeunes enfants il y a un pas qui n’aurait pas du être franchi. Les retrouvailles autour d’une grande tablée joyeuse deviennent un cauchemar et montrent combien la famille est loin d’être solidaire envers Emilie, la victime.

« Les yeux fermés » invitent à une réflexion sur l’accompagnement familial des victimes d’inceste ou d’abus sexuel. Parfois, au lieu d’être aidante, elle devient accusatrice et tourne le dos au lieu d’entourer la victime et de lui faire comprendre qu’elle est toujours aimée et estimée, qu’elle reconnaît pleinement les droits et les préjudices subis par la victime. C’est ce qui m’a le plus glacée : la gifle donnée à Emilie par sa cousine, et les remarques de sa grand-mère. Deux personnages qui m’ont hérissée par leur agressivité et leur absence d’empathie. Réactions certainement dues au fait qu’un choix impossible leur est demandé depuis le début.

L’illustratrice, Valentine de Lussy a choisi une gamme de couleurs très douces et délicates. Le propos est amené avec délicatesse, sans outrance graphique, ce qui sert parfaitement le texte. Les personnages sont dessinés de manière minimaliste ce qui donne encore plus de force, positive ou négative, aux propos tenus.

« Les yeux fermés » est un ouvrage intéressant car accessible à un lectorat de jeunes adolescents. En fin d’album, sont données les diverses informations utiles ainsi que des numéros verts.

Je remercie NetGalley et les éditions Dupuis pour cette lecture qui m’a bouleversée et beaucoup émue.

Quelques avis:

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Badge Lecteur professionnel
Côté polar·Littérature française

La bande de l’abribus

#Labandedelabribus #NetGalleyFrance

Le titre avait de quoi titiller ma curiosité d’autant plus qu’il était associé à une accroche très bien faite « du rififi en psychiatrie ». La quatrième de couverture est alléchante bien qu’elle en dise un peu trop mais c’est dans l’air du temps car les gens n’aiment plus avoir de surprise.

La clinique « les Trois Saintes » dite des « Trois N’y Touchent », car située aux confins de trois villages du sud de la France portant des noms de Saintes, accueille les malades de la vie, ceux qu’elle malmène, broie avant de les mettre au rebut. Il y a les cas graves, au second, et les autres, plus légers, en bas. Ceux de l’Abribus font partie de la seconde catégorie malgré leur mal-être, leurs souffrances ou leurs addictions. Ils logent dans l’aile surnommée « Aile Jules Ferry » car Viviane, Valérie, Yves et la nouvelle venue, Aurore, travaillent dans l’Education Nationale, profs, documentaliste ou agent d’entretien qui ne parviennent plus à assumer leur vie. Chaque jour ils se retrouvent à l’Abribus pour échanger, passer le temps ou fumer une cigarette. Le jour où entre Aurore à la clinique pour se reposer, un événement vient perturber la « Bande » : un cadavre a été découvert, le matin même, dans l’enceinte de la clinique. Chacun expose sa théorie et les esprits bouillonnent. Qui a bien pu perpétrer une telle horreur ? D’autant plus que cela ne s’arrêtera pas là. Quelques jours plus tard, un deuxième puis un troisième cadavre seront retrouvés …. de plus en plus proche du bâtiment. Sans compter les événements étranges au sein de l’établissement. Les hypothèses vont bon train, des soupçons naissent, la bande de l’abribus se pique d’enquêter afin de trouver le ou les coupables.

« La bande de l’abribus » est un roman policier sans inspecteur et pourtant il n’a rien qu’un cosy mystery car le cadre n’est pas idyllique, loin s’en faut : la vie n’est pas rose pour les malades comme pour les soignants : entre les traumatismes, les idées suicidaires, le mal-être des patients et les impératifs économiques assenés, la clinique a du mal à survivre, par la direction auprès des médecins, à savoir la nécessité d’avoir des malades pour faire tourner la boutique, il n’y a pas de quoi rire. Et pourtant… On rit parce que l’autrice, Luce Michel, raconte le quotidien de ses personnages sans aucun pathos et, ce qui est appréciable également, sans occulter leurs pathologies ou leurs travers.

Luce Michel, avec un humour parfois très grinçant, une écriture rythmée et incisive, relate comment un établissement dédié aux soins apportés aux patients devient une machine à générer du profit. Au point qu’Amélie Bescotte, une des psychiatres pense avoir trouvé la solution au problème : fidéliser les malades en retardant leur guérison. Une idée non seulement cruelle mais dangereuse, pouvant déraper à tout moment.

Elle met en place plusieurs intrigues qui, au fil du roman, se croisent puis se tissent pour mettre un point final à l’enquête. Luce Michel a eu l’excellente idée de commencer chaque chapitre fort de l’intrigue par une sorte de comptine qui apporte un élément important à la dramaturgie romanesque en distillant des indices au lecteur.

Les personnages sont très attachants, et ne sont pas caricaturés bien au contraire. Ils sont incarnés grâce à leurs défaillances face à la vie, à leur empathie envers leurs compagnons de misère, leur détresse qu’ils n’osent exprimer en dehors des cours de relaxation. Ils sont fragiles, pudiques et touchants dans leur soif d’amour et d’amitié.

« La bande de l’abribus » est une comédie douce-amère avec ce qu’il faut de noirceur et de luminosité pour ne pas sombrer dans la tragédie. Une lecture que j’ai beaucoup aimée par la tendresse et la douceur envers les principaux personnages. Une réussite.

Quelques avis :

Babelio Valmy Antigone Yvon

Merci à NetGalley et aux éditions Black Lab pour cette agréable lecture.

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