Littérature française·Poésie

L’exil n’a pas d’ombre

Chaque année, à l’occasion du Printemps des poètes, j’achète, chez ma libraire, un ou deux recueils de poésie. Cette année, mon regard a été accroché par un recueil poétique de Jeanne Benameur, autrice que j’apprécie beaucoup, « L’exil n’a pas d’ombre précédé de La géographie absente ».

Que dire de ce recueil sinon qu’il est sublime de sensibilité, de courage, d’opiniâtreté et de questionnements sur la liberté, toutes les libertés.

« La géographie absente », celle d’une Afrique du Nord que l’on quitte précipitamment, est un long poème en prose sur la douleur de l’abandon d’une terre qui vous a vu grandir. Les valises que l’on ferme, un livre aux pages déchirées, les armoires que l’on vide, la maison que l’on déserte parce qu’il est impossible de rester. Une tragédie et un choc quand « on ne sait pas voyager » quand « on est pauvre de pays », quand la voix des mères n’est plus, quand les mères n’ont plus les mots pour expliquer ce qui est, ce qui advient. Que faire quand les mères se taisent, ne peuvent plus transmettre ? Refuser l’ombre pour retrouver la lumière, celle de l’enfance et de son insouciance qui dissimule tant de questions. La lumière de ce qui sera car l’enfant ne se retourne pas sur le passé, tout en gardant son souvenir, mais regarde devant lui, malgré la tristesse de l’arrachement. Et puis …. il y a les signes qu’on écrit, qu’on lit …. qui transportent et transforment l’ombre en lumière.

« Trouver pour chaque mot/ sa forme véritable/ c’était le lent travail/ des mères/ elles apprêtaient le monde/ pour nous. Nous ne savions rien/de leur besogne silencieuse/ sur leurs lèvres, notre enfance muette. »

« L’exil n’a pas d’ombre », celui d’une femme qui quitte son village pour traverser le désert et trouver, au bout, la mer. Celui d’un homme, ombre muette et silencieuse, qui suit la femme en exil. Un homme, une femme, ils marchent séparément, l’un derrière l’autre, une longue marche, un long voyage intérieur. Elle, elle a été chassée après que son livre ait été déchiré, livre grâce auquel elle a accédé au savoir et au langage… c’est impossible, une femme ne doit pas acquérir une telle liberté … alors on l’exile vers un ailleurs où elle n’aura aucune racine, aucune ombre à soi. Les mots s’étirent au rythme de la marche et des pensées de la femme et de l’homme en deux chants de solistes.

« Ils ont déchiré mon unique livre/Je marche./ Ont-ils brûlé ma maison ?/Qui se souviendra de moi ?/Je tape dans mes mains./Fort. Plus fort./Je tape dans mes mains et je crie. Je tape mon talon, fort, sur la terre./Personne ne pourra m’enlever mon pas./Et je tape. Et je tape. »

Je suis entrée dans ces deux récits poétiques avec le rythme particulier des mots, ces mots choisis pour leur justesse et leur force. J’ai été souvent happée par le balancement hypnotique de la marche mise en mots. Une musique proche de la mélopée accompagne la lecture. Il est essentiel de savourer chaque mot écrit, chaque atmosphère offerte, chaque monde dans lequel l’autrice m’a entraînée. Parfois, il n’est pas nécessaire de chercher à tout comprendre dans un texte poétique : la musicalité, la force d’évocation des phrases apportent une grande humanité et un paysage qu’on ne se lasse pas de découvrir.

J’ai trouvé les deux textes très beaux, supportant l’ombre en apportant la lumière de l’espoir et de la ténacité de la vie.

Quelques avis :

Babelio Virginie

4 commentaires sur “L’exil n’a pas d’ombre

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