Littérature française·Science Fiction

Le dixième vaisseau

Je suis une inconditionnelle de l’oeuvre de Pierre Bordage, même si quelques uns de ses romans n’ont pas été à la hauteur de son talent. Quand Masse Critique « Mauvais genre » de Babelio a proposé, entre autres, « Le dixième vaisseau » de Bordage, je me suis empressée de candidater pour recevoir ce titre.

Les Humains ont exploré et conquis les planètes habitées de notre galaxie Voie lactée, les frontières de l’impossible sont sans cesse repoussées au-delà de l’imagination. Des civilisations ont été écrasées par la domination terrienne, les survivantes ont choisi de se soumettre pour ne pas disparaître. L’Intelligence Artificielle est le gestionnaire privilégié des vaisseaux spatiaux et des instruments du quotidien, au point d’être en passe de supplanter l’homme. Dans un contexte de rejet de ce qui est différent, un groupe terroriste prônant le suprémacisme humain, sème la terreur sur la planète Brull, un capitaine, Livio Squirell, purgeant une peine de réclusion perpétuité pour des meurtres qu’il nie avoir commis, est « gracié » par le gouvernement pour mener une mission, quasi suicidaire, en direction du Triangle, une galaxie proche de la Voie Lactée, une jeune orpheline aux souvenirs épars et étranges, Flogg, génie de la mécanique spatiale, Tarr, un Gromb au grand cœur, Rejazz assistée d’un logiciel « Aïdo », représentante de l’Hexacratie, se retrouvent à bord de l’Esmerillo, le dixième vaisseau envoyé vers le Triangle. La mission est extrêmement périlleuse, personne n’est certain d’en revenir vivant, cependant il est impératif de savoir quel type d’activité intelligente a été détecté et évaluer son potentiel danger. Rapidement, parmi l’équipage comprenant une quarantaine d’humains et non-humains, l’ambiance se dégrade. Sollila, l’IA de l’Esmerillo, est souvent leurrée, comme si quelque chose s’était insinué dans ses programmes pour en dégrader quelques uns, des actes de sabotage sont commis, des actes d’insubordination ont lieu ainsi que des tentatives de meurtre. Qui souhaite l’échec de la mission ? Et surtout, qui a envoyé les signaux depuis la galaxie du Triangle ?

Dans « Le dixième vaisseau », Bordage met, une fois de plus, l’accent sur les relations humaines et leurs interactions. Il y a un plus avec l’existence des ENHNA (espèces non humaines et non animales), des extraterrestres comme Tarr dont les perceptions ont du mal à être comprises par les humains. Au fil du roman, l’auteur m’a renvoyée aux maux de notre société contemporaine : la différence provoquant la peur et le rejet de l’autre, l’idée véhiculée par certains qu’il y a une suprématie d’une race sur les autres, l’intolérance et le racisme. Tout cela est évoqué sans pourtant devenir une antienne moralisatrice, ce qui fait sa force.

Un autre aspect du roman m’a intéressée : la place de l’IA, appelée Sollila, dans le récit, qui devient, très vite, un personnage à part entière. Menacée par un attaquant mystérieux, la seule solution pour sauver son intégrité est qu’elle se cache en Livio, le temps pour elle de reprendre le contrôle du vaisseau après avoir débusqué le danger. Il y a des scènes extraordinaires où Sollila apprend les émotions et même l’humour au point de faire mine de rechigner à regagner son « chez elle ». Par subtile touches, Bordage aborde le transhumanisme, philosophie qui fait tant couler d’encre. Entre Sollila et Aïdo, deux courants de pensée prennent corps : les IA peuvent-elle remplacer l’Homme ou ne sont-elles que des assistants dotés d’un recul et d’une logique nécessaires pour aider à prendre la bonne décision ? Peut-on avoir une foi aveugle dans un logiciel évolué (Aïdo) comme l’a Rejazz dont on apprendra un pan de son passé surprenant. L’IA peut-elle se sacrifier pour la survie d’un être humain ?

Le thème du Messie est également au cœur du roman : Flogg n’est pas vraiment Flogg, sa véritable identité sera révélée en cours de mission. Un Messie rédempteur et sauveur d’un monde sous l’emprise d’une entité violente avec laquelle toute forme de communication est impossible. Les Ténèbres, devenues au fil des siècles, pour les habitants des planètes du Triangle, les Nbr, sorties de nulle part, attaquant et détruisant sans vergogne les mondes sur leur route, leur ôtant toute vie, animale et végétale. Qui sont les Nbr ? Un amas de cellules d’énergie destructrices ? Sont-elles le côté obscur de l’esprit humain ? Tout ce qu’il y a de sombre et de destructeur emmagasiné sous forme de nuée gigantesque ? Un avatar de la colère divine ? J’avoue que ces Nbr m’ont beaucoup intriguée d’autant plus que Bordage laisse planer le mystère sur l’origine de cette masse destructrice.

« Le dixième vaisseau » est un roman dans lequel l’auteur m’a embarquée dès les premières lignes. Il y a de multiples rebondissements, des révélations plus inattendues les unes que les autres et quelques deus ex machina incroyables. Je suis restée sur ma faim car les derniers chapitres auraient mérité d’être plus détaillés, il y avait matière à cela. Quelles relations seront instaurées entre le Triangle et La Voie Lactée ? Quel avenir pour les héros survivants ? Autant de questions sans réponse à moins qu’il n’y ait une suite.

« Le dixième vaisseau » a été une lecture plaisante, un voyage intergalactique prenant et haletant, aux accents épiques au moment voulu. Cependant, je persiste à penser que Bordage n’est jamais meilleur que lorsqu’il écrit des space-opéra comme « La Fraternité du Panca » ou des cycles magnifiques tels que « Le cycle de Wang » ou la trilogie « Les guerriers du silence ».

Merci à Babelio et Masse Crtique et aux éditions ScriNeo SF pour cette lecture passionnante.

Quelques avis :

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Le dixième vaisseau par Pierre Bordage

Le dixième vaisseau

Le dixième vaisseau

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8 commentaires sur “Le dixième vaisseau

    1. J’avais bien aimé « Les fables de l’Humpur » qui, je suis bien d’accord, explore de manière originale la SF avec un côté fantastique. Pour moi, le cycle qui m’a vraiment fait vibrer aura été « La Fraternité du Panca ».

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  1. La réflexion autour de l’IA a l’air très intéressante, comme les travers de notre société transposés à celle du roman. Je note quand même plutôt les autres titres dont tu parles. Rien à voir mais j’adore les petits chats de Noël sur ton bandeau d’accueil 🤩.

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