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Chroniques martiennes

Décembre emmenait les participants aux Classiques c’est fantastique, dans le monde de la SF, des dystopies et des mondes parallèles. J’ai choisi une lecture que j’aurais du faire depuis longtemps, « Chroniques martiennes » de Ray Bradbury, recueil de nouvelles publié aux Etats-Unis en 1950 et en France en 1954.

Dans les années 45-50, le monde observait Mars, la planète rouge, fantasmait sur une possible vie extra-terrestre, découvrait les canaux et les mers de cette planète. Le monde d’alors craignait une guerre nucléaire, la dévastation de notre planète bleue. Les « Chroniques martiennes » relatent la conquête de Mars par la Terre, sa colonisation puis son dépeuplement, sous le prisme des années 45-50 aux Etats-Unis.

Chaque nouvelle est liée avec les autres par un fil rouge, celui des missions successives vers Mars. Chacune d’elle relate un épisode de cette colonisation, de la confrontation avec l’Autre, des regards portés par les colonisateurs sur une civilisation millénaire disparue. Une civilisation sophistiquée, plus portée sur la culture, les arts que sur la guerre. Une civilisation parvenue à vivre en accord avec la nature, à l’accepter comme partie intégrante de la vie. Le temps s’écoule doucement sur Mars, entre chaque expédition terrienne. Les Chroniques se déroulent entre 1999 et 2057. On ne peut s’empêcher de constater combien Ray Bradbury a touché du doigt ce que nous vivons aujourd’hui : les crises identitaire amenant au totalitarisme, alimentaire, politique, militaire ou technologique. Une prescience due à l’observation fine des sociétés humaines et de la nature humaine.

J’ai aimé chaque nouvelle des Chroniques, chaque épisode d’une conquête rêvée enfin réalisée …. mais à quel prix ! L’écriture est absolument magnifique, d’une grande poésie, bien que ne parlant pas la langue anglaise je ne peux m’empêcher de penser que le traducteur Henri Robillot a réussi un travail extraordinaire. Mars apparaît comme un monde fabuleux de connaissances, de beautés architecturales et naturelles : les canaux remplis d’une eau scintillant sous les lunes, les mers mortes mélancoliques, les villes abandonnées d’une beauté glaçante, la chaleur de la journée et le froid de la nuit, Les bateaux à voiles glissant sur le sable, tout porte à la rêverie poétique.

Une nouvelle m’a particulièrement plu : « Usher II ». Sur Terre, les livres des auteurs notamment fantastiques ont été brûlés, trente ans auparavant car jugés dangereux pour la morale qui ne tolère que le réalisme dans les écrits ou les films. William Stendahl a construit sur Mars la Maison Usher, en référence aux œuvres d’Edgar Allan Poe et reçoit la visite d’un inspecteur de l’Hygiène morale – cela ne vous rappelle pas Fahrenheit 451 ? – qui le somme de la détruire. La chute est jubilatoire et nombre de groupuscules empêcheurs de lire en rond devraient la lire et relire, tout comme la nouvelle de Poe « La chute de la Maison Usher », afin de cesser d’ennuyer le monde avec leurs inepties à deux sous.

« Garrett, dit Stendahl, savez-vous pourquoi je vous ai joué ce tour ? Parce que vous avez brûlé les livres de M.Poe sans les lire vraiment. Vous avez cru ceux qui vous affirmaient qu’il fallait les brûler. Sinon, vous auriez compris ce qui vous attendait ici quand nous sommes descendus tout à l’heure. L’ignorance est fatale, Mr Garrett. » (p 174 in « Usher II »)

Les « Chroniques martiennes » pointent du doigt l’arrogance colonisatrice de l’américain moyen, tirant sur ce qui ne lui ressemble pas, reproduisant sur une planète située à des millions d’années-lumière les villes, les us et les coutumes de l’état américain dont il est originaire. En filigrane, on peut voir également une critique de la colonisation des terres amérindiennes, c’est subtil et fort, le tout en quelques lignes.

« Demandez-moi alors si je crois à l’esprit des choses dans la mesure où elles sont servi, et je répondrai oui. Elles sont toutes autour de nous. Tout ce qui avait un rôle, nous ne pourrons jamais en tirer parti sans un sentiment de gêne. Et toutes ces montagnes avec leurs noms. Jamais elles ne nous seront familières. Nous les rebaptiserons mais leurs noms primitifs demeurent dans le passé, et les montagnes ont été modelées et contemplées sous ces anciens noms. Ceux que nous leur donnerons, comme à ces canaux ou ces villes, glisseront dessus comme l’eau sur un canard. Nous ne toucherons jamais Mars, quoi que nous fassions. Alors, nous nous mettrons en fureur et savez-vous ce qui se passera ? Nous la mettrons à sac, nous l’éventrerons, pour la refaire à notre mesure. » (p 82-83 in « Et la lune toujours brillante »)

« Chroniques martiennes » est un monument de la littérature de SF et lui donne un autre ton. La force poétique de l’écriture en fait un incontournable et ne laisse pas indifférent dans le sens où le lecteur n’oubliera jamais l’atmosphère des nouvelles.

Traduit de l’américain par Henri Robillot

Quelques avis :

BabelioSens CritiqueL’Ourse bibliophile

Lu dans le cadre

Le bilan « SF. Dystopies Mondes parallèles » est disponible chez Mokamilla.

14 commentaires sur “Chroniques martiennes

    1. Je n’ai pas souvenir de la série et ma foi, je préfère rester sur mon ressenti extraordinaire de ma lecture. Les images, je me les suis fabriquées en lisant et je n’ose pas défaire ce que mon imagination a construit.
      Les nouvelles sont sublimes, vraiment, et intenses.

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    1. Je t’en prie Mokamilla. J’espère que tu parviendras à trouver un moment (un après-midi si on lit non-stop … mais c’est mieux de savourer les ambiances des nouvelles) pour t’y plonger.
      Merci pour ce challenge classique qui me permet de lire une oeuvre classique par mois et de découvrir beaucoup d’autres.

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    1. Peut-être qu’à l’adolescence l’empreinte poétique des nouvelles a-t-elle été moins forte. Mon monsieur l’a lu adolescent et l’a relu quatre ou cinq fois depuis tant « Chroniques martiennes » l’avait marqué.
      Je relirai, c’est certain, ce recueil de nouvelles martiennes.

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    1. Je t’en prie Fanny.
      Je n’avais lu que le fameux « Fahrenheit-451 » et j’ai été enchantée par les « Chroniques martiennes » qui m’ont émue et profondément touchée par leur ambiance et leur écriture poétique.

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