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Kim

J’avais depuis plusieurs mois, « Kim » de Rudyard Kipling dans ma bibliothèque, je tournicotais autour sans jamais me décider à l’ouvrir, le premier épisode de la saison 4 des Classiques c’est fantastique m’a fait sauter le pas. Le thème étant « un seul mot dans le titre », l’occasion était trop belle pour la laisser passer.

« Kim » a d’abord été publié en feuilleton dans un mensuel américain, ce qui explique les rebondissements réguliers digne d’un roman picaresque.

Maintenant, plantons un peu le décor. Kim, alias Kimball O’Hara, a quatorze ans et est orphelin de mère indienne et d’un soldat irlandais du régiment des Mavericks de l’armée des Indes. Ses seuls biens, un porte-amulette en cuir dans lequelle trois documents importants sont précieusement conservés : son certificat de naissance, des recommandations pour l’armée britannique et auprès d’une loge maçonnique à laquelle était affilié son père. Kim se débrouille dans les rues de Lahore en rendant de menus services aux uns et aux autres au point qu’il pourrait en être le roi. Il parle avec les gens quelles que soient leur caste ou leur religion, aussi a-t-il un surnom « l’ami de tout au monde ».

Kim croisera le chemin d’un lama descendu des hauteurs du Tibet à la recherche de la rivière, sacrée, de toute vérité en compagnie duquel il traversera l’Inde du sud au nord et du nord au sud, en train, en charrette ou à pied. Son odyssée lui fera croiser le chemin d’ « un grand taureau rouge sur un champ vert, avec le colonel sur son grand cheval et neuf cents diables » comme le lui avait prédit sa bienfaitrice, en l’occurrence un régiment irlandais, celui auquel avait appartenu son père. Il ira alors, encouragé par le lama, à l’école des blancs pour y apprendre à lire, à écrire, la topographie, et aussi subir le racisme ordinaire des maîtres de l’Inde. Comme Kim est d’une grande vivacité d’esprit, il apprend vite et bien et fait comprendre à son tuteur qu’il besoin de liberté, le temps des vacances. Il connaît les us et coutume locales, il sait tellement bien se fondre dans le décor qu’il entrera dans « le Grand jeu », métaphore de la lutte opposant les services d’espionnage de la Couronne britannique à la Russie qui tente de s’implanter en Inde.

« Kim », c’est le roman de l’Inde multiculturelle, colorée et épicée, dans laquelle ont grandi tous les anglais et anglo-indiens nés dans cette partie de l’immense empire colonial britannique. Les « métropolitains » les méprisent, aussi chaque page du roman montre combien les Anglo-indiens comme les indigènes sont loin d’être méprisables.

Rudyard Kipling rend hommage à son Inde, malgré les boutades à l’encontre de la qualité du réseau ferroviaire et routier, celle qui vit de peu, celle qui dort par terre la nuit, celle qui accueille les pèlerins, celle qui donne l’aumône, celle qui croit en de multiples divinités ou en un seul Dieu, celle qui respecte les saints hommes, celle qui marchande, celle qui survit, celle qui voit la vie en chaque animal ou plante. Il permet aux métropolitains de mieux connaître l’Inde dont ils n’ont que des échos et des préjugés. L’auteur décrit les paysages et les personnages avec une écriture d’un grand pouvoir d’évocation : j’ai vu les routes poussiéreuses, les rues boueuses, les pluies de la mousson, les temples, les caravansérails, les voies impossibles des montagnes du Tibet, tout le petit peuple qui fait que l’Inde est un immense pays fascinant.

« Kim » raconte aussi l’entrée dans la modernité de cette partie de l’Empire : on devine l’épopée du développement du chemin de fer, les administrations dans les villes, la présence de musées. L’auteur relate comment l’Inde et ses habitants s’approprient les apports de l’Occident et comment, peu à peu, les traditions seront bousculées, notamment dans une des scènes se passant lors d’un voyage en train lorsque les hindous sont contraints de partager le wagon avec des castes inférieures. Kim, d’ailleurs, traverse quelques crises identitaires au fil de son périple, de son errance, qui est-il vraiment ? S’interroge-t-il à plusieurs reprises. Un hindou, un chrétien, un musulman ? En un clin d’oeil, il peut changer d’apparence, comme le fameux agent E-17, avec des vêtements judicieusement agencés. C’est qu’il est tiraillé entre l’influence de son maître lama et celle de l’Empire par le truchement du lointain colonel et du « Grand jeu ». Cependant, jamais il n’est question de remettre en cause la légitimité de la présence britannique ou celle des castes. En cela, « Kim » reste un roman impérialiste.

Cependant, la nostalgie et la tendresse envers ce pays immense, au mille et unes langues et religions, sont au cœur du roman, surtout dans la construction du personnage du lama, personnage d’une naïveté telle que Kim ne peut pas l’abandonner dans sa quête. Le lama s’émerveille de tout, s’accommode de tout tandis que Kim déjoue les embûches et mendie avec facétie. Dans le regard et dans le cœur de Kim, et aussi du lama, c’est une Inde fascinante qui rythme les pérégrinations des deux errants dont l’humanité extraordinaire ne fait pas de doute.

J’ai vraiment apprécié cette plongée dans l’Inde des souvenirs d’enfance de l’auteur et suivre le parcours initiatique du jeune héros.

Traduit de l’anglais par Louis Fabulet

Quelques avis :

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Lu dans le cadre

Le bilan « En un mot » est chez Fanny

22 commentaires sur “Kim

  1. Tout comme Mokamilla, je n’ai jamais lu Kipling seulement je crois des poèmes. Ce titre m’était totalement inconnu alors merci d’avoir mis ce grand auteur à l’honneur chez toi!

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    1. Je comprends Syl, moi aussi j’ai un programme chargé ce mois-ci. Les nombreuses pistes de lecture grâce aux bilans des classiques agrémentent mon année. C’est tellement agréable de se plonger dans la littérature classique que j’ai un carnet spécial LAL classique.

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