Les étapes indiennes·Littérature classique·Littérature indienne

Kumudini

Les étapes indiennes proposaient une lecture commune d’un roman de Tagore « Kabuliwallah » que je n’ai pas pu trouver en médiathèque. Aussi, me suis-je tournée vers un roman du Maître que propose ma médiathèque « Kumudini », ouvrage disponible depuis peu en traduction française.

« Kumudini a dix-neuf ans, la grâce d’être bien née, de goûter les arts et de prier les dieux. Elle vit dans la compagnie tendre de son frère aîné, Vipradas, humaniste fort accablé par le souci des dettes insurmontables de la famille. Jusqu’au jour où un mystérieux entremetteur vient demander pour son maître, un riche négociant adoubé par le pouvoir colonial, la main de Kumudini. Tout enivrée des légendes sacrées de Krishna, le dieu à la peau de nuit, et de sa bien-aimée Radha, elle y voit un signe du destin et presse son frère dubitatif d’accepter le marché. Mais en unissant sa destinée à celle de Madhusudan, vieil époux aux désirs d’ogre qui règne en despote jusque dans les moindres recoins de sa vaste maisonnée, Kumudini devient l’instrument inespéré et malheureux d’une épouvantable vengeance… »

Je n’avais jamais lu Tagore, j’avais entendu parler de ses romans, de sa poésie et de son côté traditionnaliste. Aussi, ai-je été surprise en lisant « Kumudini » des prises de position de l’écrivain envers la condition des femmes indiennes, soumises à une inféodation, souvent cruelle, à leur belle-famille.

Kumudini Chatterji est une jeune fille cultivée, aimée et bien entourée par son frère aîné et les gens de leur maisonnée. Nous sommes à la fin du XIXè siècle, dans une Inde, plus exactement au Bengale, exigeant de s’affranchir de l’occupation anglaise. Elle ne croit pas au mariage d’amour, ne connaissant que le système des mariages arrangés : elle a vu ses sœurs quitter le foyer paternel pour rejoindre celui de leur époux, sœurs qui se sont épanouies dans leur union. C’est sans révolte qu’elle accepte de bon cœur et dans une attente joyeuse le mariage arrangé proposé par son frère Vipradas. Ce dernier a du accepter l’union en raison de dettes trop lourdes. L’acceptation est vécue comme une immense défaite par cet homme cultivé, progressiste (dans le sens noble du terme), ouvert à la modernité et ses progrès dans de multiples domaines. Le futur époux, Madhusudan est issu d’une famille avec laquelle celle de Kumudini est en conflit depuis plusieurs générations. Les deux familles ont suivi des chemins différents, celle de Kumu dans l’opulence, la richesse de propriétaire terrien à la campagne, celle de Madhusudan Ghoshal dans les difficultés financières jusqu’à ce que l’inverse se produise sous les efforts de Madhusudan qui a su faire fructifier les rares avoirs familiaux au point de pouvoir, enfin !, être en capacité d’assouvir sa vengeance. Car il s’agit d’une histoire de vengeance et le mariage arrangé en est le moyen le plus cruel qui soit.

Le lecteur suit la descente aux enfers de Kumu et de Vipradas, chacun à sa manière. La première, hiératique face à la rusticité de son époux, subit l’inféodation en s’attelant à des tâches de subalterne, ce qui empire la maladresse de Madhusudan alors qu’il tente de l’apprivoiser. Le second sombrant dans la maladie et la mélancolie.

Kumu tiendra tête, avec constance et élégance, à son « ogre » d’époux aux appétits insatiables et au despotisme insupportable. Les projets de Madhusudan, devenu Maradjah par la volonté du pouvoir colonial, se heurtent à la résistance, extraordinaire, de Kumu face aux humiliations qu’il lui fait subir, et au mépris qu’elle lui adresse en retour. Une attitude absolument inédite, impensable dans une Inde où la femme est traditionnellement assujettie aux volontés de son époux, asservie par lui et soumise à ses ordres ou à ceux de la belle-famille. Kumu, éduquée par son frère qui a fait d’elle une femme qui possède la liberté de penser, est l’image même d’une résistance qui forcera le respect d’une belle-soeur et d’un beau-frère, est la figure par laquelle se lézardera le bel édifice du Maradjah. Je l’ai souligné plus haut, c’est l’époux qui, malgré les vexations, se sent rabaissé par celle qu’il veut asservir, et, comble de l’insupportable, qui apparaît comme en position de faiblesse aux yeux de sa maisonnée. Le conflit larvé entre les deux époux, deux visions de l’Inde, monte crescendo et apporte une tension extrême au roman. Le renversement de statut des époux, l’esprit d’indépendance de Kamu vis à vis du poids des us et coutumes, font du roman une anticipation des mouvements d’émancipation de la femme indienne et une virulente dénonciation des mariages arrangés. Ainsi, Tagore, à la fin de sa vie, devient un révolutionnaire visionnaire même s’il ne permet pas à son héroïne, qui a l’audace de quitter son époux, de remporter l’entière victoire ce qui aurait été une gageure impossible dans le contexte historique de la publication du roman.

J’ai vraiment aimé l’histoire de Kamu car malgré les passages très sombres de sa vie, il y a de la lumière et de la beauté. La force d’évocation du texte est telle que j’étais au Bengale, avec ses senteurs, ses couleurs, sa musique, ses maisons de maître délabrées mais tellement belles, sa nature luxuriante et prolixe ainsi que tout un art de vivre. J’étais également aux côtés de Kumu, kidnappée à son frère, pour être assujettie à sa nouvelle famille, dans la douleur, l’incompréhension, le chagrin et les graines de la révolte.

Traduit du bengali par France Bhattacharya

Quelques avis :

Babelio Christine Tania

Lu dans le cadre

La cuisine de Chatperlipopette·Les étapes indiennes

La soupe de pois cassés à l’indienne

Les étapes indiennes proposent chaque deuxième dimanche du mois une étape gourmande. Eimelle de Tours et culture avait proposé une appétissante soupe de lentilles à l’indienne. Je me suis essayée à un variante en utilisant des pois cassés… ce qui est dévier du sujet, je l’avoue. Je propose ma recette, réalisée sur la même base que celle d’Eimelle, avec grand retard.

Ingrédients

300g de pois cassés

1 poireau (je mets aussi le vert)

1 gros oignon

2 belles carottes

2 litres d’eau (avec bouillon de légumes)

1/2 litre de lait de coco

2 CS de curry

1 cc de cumin

Recette

Emincer le poireau et les oignons dans le blender (j’utilise mon Thermomix).

Ajouter les pois cassés et les carottes.

Ajouter l’eau.

Poivrer, ajouter le bouillon de légumes, le cumin et le curry.

Programmer sur 20 mn, température 100°

Quand c’est cuit, ajouter le lait de coco et un peu de sel.

Mixer jusqu’à obtenir la texture souhaitée (veloutée).

Ne pas hésiter à rajouter du curry. Savourer en s’évadant.

La bibli des p'tits chats (ados)·Les classiques c'est fantastique·Littérature anglaise·Littérature classique

Kim

J’avais depuis plusieurs mois, « Kim » de Rudyard Kipling dans ma bibliothèque, je tournicotais autour sans jamais me décider à l’ouvrir, le premier épisode de la saison 4 des Classiques c’est fantastique m’a fait sauter le pas. Le thème étant « un seul mot dans le titre », l’occasion était trop belle pour la laisser passer.

« Kim » a d’abord été publié en feuilleton dans un mensuel américain, ce qui explique les rebondissements réguliers digne d’un roman picaresque.

Maintenant, plantons un peu le décor. Kim, alias Kimball O’Hara, a quatorze ans et est orphelin de mère indienne et d’un soldat irlandais du régiment des Mavericks de l’armée des Indes. Ses seuls biens, un porte-amulette en cuir dans lequelle trois documents importants sont précieusement conservés : son certificat de naissance, des recommandations pour l’armée britannique et auprès d’une loge maçonnique à laquelle était affilié son père. Kim se débrouille dans les rues de Lahore en rendant de menus services aux uns et aux autres au point qu’il pourrait en être le roi. Il parle avec les gens quelles que soient leur caste ou leur religion, aussi a-t-il un surnom « l’ami de tout au monde ».

Kim croisera le chemin d’un lama descendu des hauteurs du Tibet à la recherche de la rivière, sacrée, de toute vérité en compagnie duquel il traversera l’Inde du sud au nord et du nord au sud, en train, en charrette ou à pied. Son odyssée lui fera croiser le chemin d’ « un grand taureau rouge sur un champ vert, avec le colonel sur son grand cheval et neuf cents diables » comme le lui avait prédit sa bienfaitrice, en l’occurrence un régiment irlandais, celui auquel avait appartenu son père. Il ira alors, encouragé par le lama, à l’école des blancs pour y apprendre à lire, à écrire, la topographie, et aussi subir le racisme ordinaire des maîtres de l’Inde. Comme Kim est d’une grande vivacité d’esprit, il apprend vite et bien et fait comprendre à son tuteur qu’il besoin de liberté, le temps des vacances. Il connaît les us et coutume locales, il sait tellement bien se fondre dans le décor qu’il entrera dans « le Grand jeu », métaphore de la lutte opposant les services d’espionnage de la Couronne britannique à la Russie qui tente de s’implanter en Inde.

« Kim », c’est le roman de l’Inde multiculturelle, colorée et épicée, dans laquelle ont grandi tous les anglais et anglo-indiens nés dans cette partie de l’immense empire colonial britannique. Les « métropolitains » les méprisent, aussi chaque page du roman montre combien les Anglo-indiens comme les indigènes sont loin d’être méprisables.

Rudyard Kipling rend hommage à son Inde, malgré les boutades à l’encontre de la qualité du réseau ferroviaire et routier, celle qui vit de peu, celle qui dort par terre la nuit, celle qui accueille les pèlerins, celle qui donne l’aumône, celle qui croit en de multiples divinités ou en un seul Dieu, celle qui respecte les saints hommes, celle qui marchande, celle qui survit, celle qui voit la vie en chaque animal ou plante. Il permet aux métropolitains de mieux connaître l’Inde dont ils n’ont que des échos et des préjugés. L’auteur décrit les paysages et les personnages avec une écriture d’un grand pouvoir d’évocation : j’ai vu les routes poussiéreuses, les rues boueuses, les pluies de la mousson, les temples, les caravansérails, les voies impossibles des montagnes du Tibet, tout le petit peuple qui fait que l’Inde est un immense pays fascinant.

« Kim » raconte aussi l’entrée dans la modernité de cette partie de l’Empire : on devine l’épopée du développement du chemin de fer, les administrations dans les villes, la présence de musées. L’auteur relate comment l’Inde et ses habitants s’approprient les apports de l’Occident et comment, peu à peu, les traditions seront bousculées, notamment dans une des scènes se passant lors d’un voyage en train lorsque les hindous sont contraints de partager le wagon avec des castes inférieures. Kim, d’ailleurs, traverse quelques crises identitaires au fil de son périple, de son errance, qui est-il vraiment ? S’interroge-t-il à plusieurs reprises. Un hindou, un chrétien, un musulman ? En un clin d’oeil, il peut changer d’apparence, comme le fameux agent E-17, avec des vêtements judicieusement agencés. C’est qu’il est tiraillé entre l’influence de son maître lama et celle de l’Empire par le truchement du lointain colonel et du « Grand jeu ». Cependant, jamais il n’est question de remettre en cause la légitimité de la présence britannique ou celle des castes. En cela, « Kim » reste un roman impérialiste.

Cependant, la nostalgie et la tendresse envers ce pays immense, au mille et unes langues et religions, sont au cœur du roman, surtout dans la construction du personnage du lama, personnage d’une naïveté telle que Kim ne peut pas l’abandonner dans sa quête. Le lama s’émerveille de tout, s’accommode de tout tandis que Kim déjoue les embûches et mendie avec facétie. Dans le regard et dans le cœur de Kim, et aussi du lama, c’est une Inde fascinante qui rythme les pérégrinations des deux errants dont l’humanité extraordinaire ne fait pas de doute.

J’ai vraiment apprécié cette plongée dans l’Inde des souvenirs d’enfance de l’auteur et suivre le parcours initiatique du jeune héros.

Traduit de l’anglais par Louis Fabulet

Quelques avis :

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Le bilan « En un mot » est chez Fanny