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Le château solitaire dans le miroir

Le miroir de la chambre de Kokoro se met à scintiller attisant la curiosité de la jeune collégienne. Cette dernière pose sa main qui ne sent aucune résistance. Telle Alice au Pays des merveilles, Kokoro passe de l’autre côté du miroir pour découvrir un extraordinaire château et être accueillie par une fillette, vêtue étrangement de dentelles et de froufrous, dont le visage est dissimulée par un masque de loup. Mademoiselle Loup n’accueille pas seulement Kokoro, il y a six autres adolescents du même âge, aussi étonnés que Kokoro de se retrouver dans un lieu mystérieux, face à une hôtesse masquée.

Kokoro et ses petits camarades apprennent qu’ils ont un an pour trouver la clef qui ouvrira la Chambre des souhaits. Celui ou celle qui la découvrira pourra choisir un vœu et le voir se réaliser. Elle leur donne un indice important : la clef n’est pas cachée dans leur chambre au château. Mademoiselle Loup indique une règle essentielle à laquelle il est impossible de surseoir : le château est ouvert de 9h à 17h, heure du Japon, passé 17h si un des invités n’est pas rentré chez lui, il sera impitoyablement dévoré par le loup. Le fantastique est installé et se poursuivra jusqu’à la fermeture du château.

Les sept adolescents font peu à peu connaissance, se livrent avec circonspection lâchant quelques faits de leur vie. Rapidement un point commun se fait jour : ils ont tous des difficultés à s’adapter à la vie du collège et rencontrent des points de tension insoutenables avec certains de leurs camarades de classe au point qu’ils renoncent à poursuivre leur scolarité. Six d’entre eux éprouvent une phobie scolaire suite au harcèlement, plus ou moins violent, qu’ils ont subi. La narratrice, Kokoro élève de sixième, relate au lecteur ce qu’il lui est arrivé, comment le harcèlement s’est mis en place, comment la meneuse d’un groupe de filles de sa classe est parvenue à l’isoler de brimade en brimade à la cruauté féroce. Il n’y a pas que les coups qui blessent, les mots et les attitudes sont autant de pointes acérées mettant en lambeaux confiance en soi et estime de soi. C’est l’écheveau infernal que démêle le récit.

« Le château solitaire dans le miroir » de Mizuki Tsujimura est un roman dans lequel les ficelles du fantastique permettent de parler du harcèlement dans le cadre scolaire, de la manière dont il se met en place, des épouvantes ressenties par Kokoro, du mal être physique et psychologique. Le roman narre également le désarroi des parents, la solitude des adolescents déscolarisés, leur honte et leurs regrets de ne pas être comme les autres. Non, ils ne se la « coulent » pas douce, non ils ne se gavent pas de télé ou de jeux vidéo, ils sont seulement tétanisés par une peur viscérale qui leur pourrit la vie. Kokoro a une jolie formule lorsqu’elle dit que Sanata Miori « lui a volé son temps ».

L’autrice joue, avec une pétillante malice, avec deux contes des frères Grimm, notamment le fameux « Petit chaperon rouge », d’ailleurs Mademoiselle Loup appelle ses sept invités « mes Petits Chaperons rouge », utilisant la formule en guise de rengaine.

« Le château solitaire dans le miroir » est aussi un roman sur le deuil, la reconstruction de soi et la joie d’être ensemble pour réaliser quelque chose, pour atteindre un but commun. En effet, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les ados ne mèneront pas la quête à titre personnel, sauf au début, mais établiront un plan d’équipe.

Bien entendu il y aura, comme dans tout conte qui se respecte, transgression de l’interdit qui provoquera des révélations en cascade jusqu’au dénouement final. Le plus important, à mes yeux, est le pas de côté effectué par Kokoro, un pas de côté mûri grâce aux échanges qu’elle a eu avec la jeune femme, enseignante dans l’établissement accueillant les enfants déscolarisés, qui l’a comprise et avec son amie et voisine Tôjo Moé, dont le père est professeur à l’université et enseigne les spécificités des contes européens, notamment ceux des frères Grimm.

J’ai vraiment aimé ce roman qui m’a embarquée de bout en bout par la délicatesse de l’écriture de l’autrice, par les thèmes abordés, par les émotions diffusées au fil des pages. J’avoue avoir pleuré en lisant les dernières pages.

« Le château solitaire dans le miroir » est un roman à mettre dans toutes les mains, adolescents et adultes pourront trouver réponses ou début de solution pour évoquer le phénomène, de plus en plus inquiétant dans les pays industrialisés, qu’est le harcèlement scolaire d’autant plus que les réseaux sociaux sont de véritables vecteurs de désespoir pour les jeunes blessés par la hargne de leurs camarades. L’enfance et l’adolescence peuvent être des plus cruelles… hélas. Aux adultes d’agir afin que les drames vécus soient divulgués et les victimes déculpabilisées. Ne plus se sentir coupable est un premier pas vers la reconstruction du moi sapé à coups de propos et/ou de gestes violents.

Traduit du japonais par Jean de la Couronne

Quelques avis :

Babelio Livres et merveilles Anne-Sophie Livraddict

Lu dans le cadre

7 commentaires sur “Le château solitaire dans le miroir

  1. Merci de l’avoir présenté, je n’en avais pas entendu parler et tout ce que tu en dis me tente bien :-). Il faut dire que dès qu’on parle d’Alice, l’univers me plaît souvent… C’est un roman jeunesse ?

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