Les classiques c'est fantastique·Littérature classique·Littérature française

Tous les hommes sont mortels

Chaque mois, « les classiques c’est fantastique ! » proposent un thème. En Mars les participants devaient choisir de lire une des Simone de la littérature. Je suis sortie de ma zone de confort en participant au thème malgré ma réticence. J’ai choisi un roman de Simone de Beauvoir « Tous les hommes sont mortels ». Elle publiera ce roman en décembre 1946, dans un contexte bien particulier, celui de la création de la revue politique « Les Temps modernes » créée avec Jean-Paul Sartre. Cette revue cherche à faire connaître l’existentialisme à travers la littérature contemporaine.

Raymond Fosca est un prince toscan né le 17 mai 1279, sa mère meurt peu de temps après sa naissance, aussi est-il élevé par son père. Un moine est assigné à son éducation et à son apprentissage des préceptes de la religion catholique romaine. Or, très vite, le jeune Fosca proclame fièrement qu’il ne craint ni Dieu ni les hommes. Un jour, un pauvre hère, qui s’est caché dans une cave pour ne pas être chassé de la ville fortifiée, lui propose un élixir d’immortalité s’il lui laisse la vie sauve. Alors que son épouse, Catherine, l’implore de ne pas succomber à la tentation, il teste l’efficacité du philtre sur une souris …. qui meurt et revient à la vie. Fosca franchit la ligne rouge et boit le contenu de la fiole. Ainsi, cet homme ambitieux devient-il immortel et traversera-t-il les siècles, rencontrant toutes les grandes figures historiques jusqu’à l’époque contemporaine.

L’immortalité, graal de l’humanité depuis la quête de la Pierre philosophale, est-elle une panacée ? Ou un « bien triste présent » comme le souligne Jean-Jacques Rousseau dans son « Emile » ? C’est ce à quoi s’attache à répondre le roman au cours de la rencontre entre Régine, jeune actrice ambitieuse, égoïste et sûre du bienfondé de son existence et Fosca qui est revenu de tout.

Au début, l’immortalité, c’est bien, c’est vers la fin que cela se complique. Fosca, lorsque Régine le réveille d’une très longue sieste, est désabusé et démotivé au plus haut point. Il ne vit plus depuis longtemps, seuls les rencontres avec quelques femmes ou quelques événements historiques le raniment et le ramènent à la vie. Hélas, l’enthousiasme ne dure guère car, à therme, tout retombe dans l’obscurité de l’oubli. Au-delà de la mort profonde qu’est l’immortalité, la vie de Fosca montre combien l’homme, qui se sait mortel, agit, que ses actions soient proches de la folie ou non. L’homme mortel construit, passe à l’acte tout en sachant que ce à quoi il aspire, que ce qu’il bâtit, il n’en verra jamais le bout. Fosca en est conscient et éprouve une éternelle insatisfaction qui le hante. Or, pour l’homme mortel, l’insatisfaction, la recherche du toujours plus, font qu’il est vivant contrairement à Fosca. A mesure que l’on suit, en flash back, ses pérégrinations force est de constater qu’à travers les destins des personnages qu’il croise, l’histoire des hommes est un éternel recommencement. Pourtant, c’est la beauté de l’action de l’homme qui prime sur tout : il cherche à améliorer son sort et celui de l’ensemble de la communauté, sans renoncer devant les forces contraires. On pourrait se dire que l’éternité apporte l’énergie inépuisable pour atteindre de multiples objectifs. L’éternité permettrait-elle à l’homme de se construire, d’être acteur, décideur et responsable de sa vie ? Oui, tant que le manque de temporalité, la douleur de l’effacement des visages aimés, ne le conduisent au renoncement. Non, si l’on pense que tout est vain puisque tragiquement cyclique.

A mesure que les années, les siècles passent, Fosca, l’immortel, apprend que c’est parce que les hommes sont mortels qu’ils vivent, pleinement, leur existence selon leur conscience, selon les objectifs qu’ils se sont donnés, selon leur personnalité, leurs forces et leurs faiblesses. Les imperfections, les frustrations, les insatisfactions forment un tout : la vie humaine.

« Tous les hommes sont mortels » est un roman qui, à mon sens, a une résonance importante aujourd’hui : notre modernité a peur de vieillir au point de vouloir une absence de temporalité. N’est-ce pas ce que prône le mouvement transhumaniste dont les plus célèbres chantres (Elon Musk, Jeff Bezos entre autres) ne sont que des enfants qui ont peur de mourir. Or la mort est la quintessence de l’humanité, c’est la mort qui sublime la vie, qui fait que l’homme est un homme vivant porté par cette force éternelle qu’est l’impermanence de l’existence.

« Tous les hommes sont mortels » a été une lecture qui m’a remuée dans le sens où, malgré la distanciation que Fosca choisit comme posture, j’ai ressenti de l’empathie pour lui et sa souffrance profonde devant sa non-vie.

Quelques avis :

Babelio

Lu dans le cadre

11 commentaires sur “Tous les hommes sont mortels

    1. Merci pour ton passage. Au cours de ma lecture, il m’est apparu important de faire le parallèle avec le transhumanisme qui m’alarme beaucoup. A trop vouloir repousser les limites, l’homme risque d’aller vers le n’importe quoi qui ne sera proposé qu’à une élite. La peur de la mort est, certes, normale, mais de là à vouloir devenir immortel … non merci.

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    1. Comme tu le soulignes parfaitement, l’immortalité est un thème récurrent dans la littérature SF mais aussi dans le cinéma SF. La conclusion est toujours la même: l’immortalité n’est pas le graal, l’impermanence de la vie constitue le sel de l’existence et ne plus en dépendre fait sombrer dans une sombre mélancolie.

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  1. Ce mois de mars spécial Simone(s) me fait découvrir une multitude de facettes de la vie et de l’oeuvre de S. De Beauvoir. Je suis impressionnée par sa capacité à aborder tant de sujets fondamentaux.

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  2. Voici le premier billet que je lis et qui me donne envie de lire le titre dont il y est question. ! Simone de Beauvoir m’effraie un peu, et les avis mitigés lus chez les autres blogueuses avaient jusqu’alors conforté mes craintes…

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  3. que c’est tentant !! « Au début, l’immortalité, c’est bien, c’est vers la fin que cela se complique », j’adore cette phrase 🙂

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