Les premières lignes·Littérature française·Poésie

Les premières lignes #3

Sur une idée de Ma lecturothèque, chaque semaine je prends un livre dans ma bibliothèque et je recopie ses premières lignes.

Aujourd’hui, les premières lignes d’un recueil de Christian Bobin « La nuit du coeur ». Un texte puissant, poétique et d’une grande beauté.

Résumé

Il n’y a pas d’autre raison de vivre que de regarder, de tous ses yeux et de toute son enfance, cette vie qui passe et nous ignore.

Premières lignes

La chambre numéro 14 de l’hôtel Sainte Foy à Conches est percée de deux fenêtres dont l’une donne sur un flanc de l’abbatiale. C’est dans cette chambre, se glissant par la fenêtre la plus proche du grand lit, que dans la nuit du mercredi 26 juillet 2017 un ange est venu me fermer les yeux pour me donner à voir.

Dans l’abbatiale, on donnait un concert. Je regardais la nuit d’été par la fenêtre, ce drapé d’étoiles et de noir. Un livre m’attendait sur la table de chevet. Mon projet était d’en lire une dizaine de pages, puis de glisser mon âme sous la couverture délicieusement fraîche de la Voie lactée.

Mais.

Mais en me penchant pour fermer les volets de bois, je vis les vitraux jaunis devenir plus fins que du papier et s’envoler. Le plomb, le verre et l’acier qui les composaient, plus légers que l’air, n’étaient plus que jeux d’abeilles, miel pour les yeux qui sont à l’intérieur des yeux. Des lanternes japonaises flottant sur le noir, épelant le nom des morts. A cette vue je connus l’inquiétude apaisante que donne un premier amour.

Alors, tenté(e)?

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Premières lignes #2

Sur une idée de Ma lecturothèque, chaque semaine je prends un livre dans ma bibliothèque et je recopie ses premières lignes.

Aujourd’hui, les premières lignes d’un roman italien, absolument délirant, « La fête du siècle » de Niccolo Ammaniti.

Résumé

« Toute la Rome VIP se rue Villa Ada à la soirée d’un pape de l’immobilier. Dans ce défilé d’égos botoxés, Fabrizio Ciba, écrivain vedette en panne sèche d’écriture, la pop star Larita et un invité surprise: la secte des Enragés d’Abaddon, quatre pieds nickelés satanistes en mal de célébrité. Très vite, l’orgie vire au safari apocalyptique et l’illusion tombe… »

Les premières lignes

Attablés à la pizzeria Jerry 2 d’Oriolo Romano, les Enragés d’Abaddon tenaient réunion.

Leur leader, Saverio Moneta dit Mantos, était inquiet. L’heure était grave. S’il ne parvenait pas à reprendre en main la secte, cela risquait d’être le dernier rassemblement des Enragés.

L’hémorragie avait commencé quelques temps auparavant. Le premier à les quitter avait été Paolino Scialdone dit Le Faucheur. Sans un mot, il les avait largués et était entré chez les Fils de l’Apocalypse, un groupe sataniste de Pavie. Deux ou trois semaines plus tard, Antonello Agnese dit Molten s’était acheté une Harley Davidson d’occase et avait rejoint les Hell’s Angels de Subiaco. Et pour finir, Pietro Fauci dit Nosferatu, bras droit de Mantos et fondateur historique des Enragés, s’était marié et avait ouvert une boîte de plomberie-chauffagerie à l’Abetone.

Ils n’étaient plus que quatre.

Il lui fallait tenir un discours très sérieux, les faire filer droit et recruter de nouveaux adeptes.

-Mantos, tu prends quoi? lui demanda Silvietta, la vestale du groupe. Une rouquine maigrichonne, aux yeux ronds et proéminents sous des sourcils minces placés trop haut sur le front. Dans une narine et au centre de la lèvre inférieure, elle avait un anneau argenté.

Saviero jeta un coup d’oeil distrait au menu.

-Voyons voir … Des spaghettis à la marinara? Non, vaut mieux pas, l’ail me reste sur l’estomac … Allez, va pour les pappardelle.

-Les font sans chichis, mais elles sont bonnes! approuva Roberto Morsillo dit Murder, un gros lard de presque deux mètres, aux cheveux longs teints en noir et aux binocles graisseuses. Il portait un T-shirt effilochés des Slayers. Originaire de Sutri, il étudiait le droit à Rome et travaillait au Bricocenter de Vetralla.

Saverio examina ses disciples. Bien qu’ils aient dépassé la trentaine, ils s’habillaient encore comme une bande de hardos ringards. Dire qu’il ne cessait de leur recommander: « Faites gaffe. Vous devez passer pour des gens normaux, virez-moi ces piercings, ces tatouages, ces putains de clous partout … » Mais il n’y avait pas moyen.

C’est ça ou rien, pensa-t-il, résigné.

Alors …. tenté(e)s?

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Premières lignes #1

Je suis tombée sur un partage des plus sympathiques sur FB, merci Magali Vaugier! L’initiative vient d’une blogueuse Ma lecturothèque qui a donné envie à Light and Smell de participer à ce rendez-vous hebdomadaire. Cela m’a donné, par ricochet, envie d’ouvrir une nouvelle rubrique chez Chatperlipopette.

Le principe: chaque semaine je prendrai un livre dans ma bibliothèque et je recopierai ses premières lignes.

J’ouvre la rubrique par les premières lignes d’un roman terminé il y a deux semaines, « L’échappée » de Valentine Goby.

Résumé

 » Nous marchons, suivies par la foule, têtes rasées parmi les décombres de l’avenue janvier, de la rue Saint-Hélier dévastée, criblée de béances et d’immeubles en ruine, pendant des semaines c’étaient des gravats enchevêtrés de poutres, de meubles brisés, chambres, cuisines, salles à manger réduites en poussière, éclats de verre, j’imagine que c’était comme ça, tout est déblayé et vide maintenant, je trébuche sur des souvenirs que je n’ai pas, les bombardements ont eu lieu sans moi, j’étais terrée dans un couvent mais je sais tout, ils m’ont lait ce que la guerre leur a fait. »

« L’échappée » ou le destin d’une jeune paysanne bretonne coupable d’avoir aimé un pianiste allemand pendant l’Occupation. Valentine Goby signe un livre tragique et puissant sur l’identité et la liberté.

Les premières lignes

Madeleine grelotte. Elle souffle sur ses doigts. Une main après l’autre. Un froid mouillé s’engouffre sous sa jupe. Elle plaque sa jupe contre ses cuisses. Les arbres nus succèdent aux arbres nus, découpés sur le ciel gris-mauve. Elle fixe le ruban d’asphalte. Elle serre le châle sur sa poitrine. Le noeud se défait. La laine oscille contre sa joue, énervante. Elle enfonce le bonnet sur ses oreilles. Elle pédale à toutes jambes. La dynamo frotte contre la roue. C’est une vibration légère, berçante. Le phare n’éclaire rien, affaibli par la toile réglementaire. Tout juste utile à signaler une présence humaine aux halos tremblotants qui la croisent. Un soupçon de vie dans l’hiver.

Dix kilomètres de bruine encore. Rennes est une masse obscure à l’horizon, serrée derrière d’épais rideaux, des volets clos. A cette heure, Jeanne est arrivée à l’hôtel après un détour par les bois sur le porte-bagages d’Antoine; un détour par Antoine tout court. Elle a emporté par erreur la clé du cadenas de la bicyclette. Il a fallu deux heures à Madeleine pour forcer la serrure.

La route est étroite, bordée d’obstacles. Ornières, ruisseaux cachés, petits ravins, buissons de ronces. Elle longe les champs immobiles, déjà pris sous le givre. Pleins de craquements. De cris de bêtes. Le ciel compact ne laisse filtrer, à l’ouest, qu’un rai de lumière violette, presque noire.

Un grelot familier se rapproche. Madeleine accélère, pose les deux mains sur le guidon. Sa jupe s’envole. Frédéric la frôle, debout sur les pédales. Il se poste en travers de la route. Elle pile.

Etes-vous tenté(e)s par sa lecture?