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Les femmes de Brewster Place

Juillet est consacré à la littérature afro-américaine chez les fantastiques dessous des classiques.

Mon premier choix s’est porté sur un roman de Gloria Naylor paru en 1980 aux Etats-Unis, « Les femmes de Brewster Place ».

Ce roman relate le quotidien d’un ghetto noir, au nord des Etats-Unis, dans les années soixante-dix. Sept femmes, sept destins et sept combats contre la misère, la solitude, la violence, le logement indigne. Le récit est tellement réaliste par sa force évocatrice qu’il devient, parfois, documentaire.

Mattie Michael, rejetée par sa famille pour avoir « fauté », ruinée par les frasques de son fils, fils qu’elle a adulé et sans cesse excusé, est obligée d’abandonner sa maison acquise au prix d’efforts de toute une vie, et échoue dans un immeuble de cette place perdue au fin fond d’un quartier abandonné de tous pour s’installer avec le peu qui lui reste. Mattie est la matriarche, la voix de la sagesse.

Etta Mae, l’amie de Mattie, amie aux extravagances vestimentaires et langagières, arrive également à Brewster Place, comme Kiswana, jeune femme, issue d’une classe noire aisée, décidée à retrouver ses racines africaines et à se battre pour que les Noirs américains obtiennent les droits qui leur sont dus. C’est pourquoi elle s’investit dans la lutte pour les droits civiques.

Cora Lee, la jeune mère qui collectionne autant les amants d’une nuit que les enfants issus de ses rencontres amoureuses. Déjà, enfant, il lui fallait à chaque Noël une nouvelle poupée. Cora qui n’a de cesse d’être enceinte et de crier sur ses nombreux enfants bruyants et turbulents.

Licielia, jeune mère de famille malmenée par son compagnon et épaulée par Mattie dans l’enfer qu’elle traversera.

Enfin, le « couple » qui cristallisera les rumeurs, les ragots autour de la place. Lorraine et Thérésa semblent s’être intégrées et ne remarquent pas tout de suite le changement d’attitude des voisins. Peu à peu, elles réalisent que leur couple intrigue au point de faire peur aux autres. Une relation comme la leur est contre nature, c’est bien connu. Un jugement sur lequel Noirs et Blancs s’accordent.

Le quotidien des locataires est rythmé par les saisons, les moments de convivialité, les conflits et les réconsiliations jusqu’au jour où l’innommable se produit, l’horreur absolue qui mettra à mal, de manière irréversible, Brewter Place.

Gloria Naylor expose le quotidien morose d’un quartier délaissé par les pouvoirs publics, dernier refuge pour ceux qui n’ont rien et qui ne sont plus rien. Pourtant, derrière la décrépitude des immeubles, des maisons, des rues et de la place, il y a des rêves de vie meilleure, d’un statut reconnu, d’une place au sein de la société américaine. D’emblée, le lecteur comprend que le roman est ancré dans le réel au point d’être autant romanesque que documentaire.

Kiswana, qui s’est appelée auparavant Mélanie, vient d’une famille noire aisée, souhaite faire prendre conscience aux habitants de Brewster Place qu’ils doivent se battre pour obtenir leurs droits à vivre dans un logement convenablement chauffé et salubre.

Peu à peu, on s’aperçoit que Brewster Place est tout sauf une impasse tranquillement morose et morne. C’est le lieu des jalousies, des conflits larvés, de micro-territoires que se sont adjugé quelques adolescents rebelles pour leur trafic de drogue. Des adolescents et jeunes adultes frustrés, non éduqués, au vocabulaire tellement réduit qu’il leur est impossible de s’exprimer autrement que par la violence. Tous les éléments sont présents pour exploser en drame.

« Les femmes de Brewster Place » est un roman d’une grande puissance montrant comment un quartier moribond peut plonger dans la complète déchéance en peu de temps. Quand les gens n’en peuvent plus de vivre dans l’abandon le plus absolu, la bombe à retardement est lancée par l’intolérance. La puissance du récit tient non seulement dans la montée crescendo des tensions qui provoqueront le drame mais aussi par les plongées dans le passé des personnages principaux leur apportant une profondeur émouvante et souvent complexe. Etre femme et noire dans la société américaine des années soixante-dix est loin d’être simple. Cependant, ensemble, les femmes peuvent bouger les lignes à défaut de changer le monde. La destruction du mur de l’impasse sonne comme une libération collective grâce à un travail réalisé à l’unisson par les femmes de Brewster Place. Apparaît une nouvelle voie pour les guider vers une nouvelle réalité dotée d’une plus grande équité. Ces femmes gommeront le passé stigmatisant pour prendre leur destiné en main.

Un très beau roman qui prend aux tripes.

Traduit de l’américain par Claude Bourguignon

Quelques avis:

Babelio

Lu dans le cadre

Le bilan « Littérature afro-américaine » est chez Fanny

15 commentaires sur “Les femmes de Brewster Place

    1. De moi-même je n’aurais pas acheté ce roman et je ne peux que remercier le choix du libraire de La Kube qui ainsi m’a fait découvrir ce texte très intéressant et édifiant.
      Le récit est ancré dans un milieu social particulier: presque un no man’s land social ou un micro-état dans une ville. C’est ce qui en fait sa richesse et son intérêt.

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