J’attendais avec impatience la suite de « L’île des âmes » qui m’avait enthousiasmée. L’impatience se mêlait à la crainte d’être déçue. Heureusement, ce ne fut pas le cas.
En Italie, continentale et insulaire, les téléphones vibrent à l’unisson. Tout le monde ouvre le lien pour visionner une vidéo incroyable « La loi, c’est toi » : un homme, ensanglanté, est ligoté et son tortionnaire masqué demande aux gens de voter la mort ou la clémence pour son prisonnier, coupable d’actes odieux mais relâché par la justice faute de preuve ou suite à un vice de procédure.
Peu de temps auparavant une des victimes du criminel avait reçu des dents…celles de ce dernier.
Très vite, le justicier masqué, qui ne s’arrête pas en si bon chemin, est appelé « le dentiste » en raison des cadeaux particuliers déposés chez les victimes.
Le duo, de charme et de choc, formé par les inspectrices Mara Rais et Eva Croce entre dans la danse avec pour mission d’arrêter le justicier et faire cesser la mascarade judiciaire soumise au jugement populaire. Les deux jeunes femmes auront l’honneur de travailler aux côtés du meilleur profiler italien prénommé Vito, homme des plus séduisant, portant, lui aussi sa croix, la mort de son coéquipier au cours d’une opération de police. Au fil de l’enquête, il s’avère que « le dentiste » ne peut agir seul et n’est pas une seule et même personne. La traque est haletante, angoissante jusqu’au dénouement.
Dans « L’illusion du mal », Piergiorgio Pulixi, peint une Italie dont le système judiciaire au bord de l’implosion peut mener, dangereusement, à la jeter dans les bras des pires populismes. Il brosse le portrait d’une société tellement dépendante des réseaux sociaux ou des émissions télévisées n’hésitant pas à remuer la pire des boues, qu’un rien peut la faire basculer dans une toute puissance qu’un dément lui offre : « La loi, c’est toi » et le boîte de Pandore est ouverte. En un clic, après trois heures de réflexion, le public, attablé au restaurant, installé tranquillement chez lui ou démabulant dans les rues, peut décider du droit de vivre ou de mourir d’un autre individu. Le jury populaire de la Cour d’assise est délocalisé dans la sphère de chaque citoyen.
Le roman, et son auteur, pose plusieurs questions fondamentales et philosophiques telles que qu’est-ce que le Bien et qu’est-ce que le Mal ? La frontière qui les séparent peut-elle se franchir, même de manière infinitésimale, sans corrompre la société ? Doit-on tout mettre à nu de manière obscène et intrusive dans certaines émissions télévisées, celles qui relèvent plus du racolage de bas étage que de la véritable information ? Quand le système judiciaire d’un pays part en déliquescence, est-ce le début du chaos ? Le Bien et le Mal sont-ils si distincts que l’on veut bien croire ? Chaque étape de l’enquête des trois policiers apporte des éléments de réponse et autant de d’interrogations. Cependant plusieurs pistes de réflexions affleurent permettant ainsi une lecture qui ne soit pas, tout le temps, en apnée. C’est que le rythme du récit et les atrocités commises mettent les nerfs à rude épreuves car on ne peut s’empêcher de penser à la réaction que l’on aurait dans une telle situation, à savoir celle d’un membre de jury populaire à qui on ne demande aucune justification, à qui on ne donne absolument pas la possibilité de se forger une intime conviction puisque une seule version lui est donnée. L’immédiateté (trois heures de réflexion pour accorder la vie ou la mort à autrui, c’est très court) et l’émotion spontanée qu’elle engendre prend le pas sur le nécessaire recul apporté par les débats contradictoires au sein d’un tribunal.
Les enquêteurs sont pris entre les attaques médiatiques et l’avancement de l’enquête. On découvre le nouveau supérieur de Mara et d’Eva, un sicilien un brin colérique. Cependant, il soutient ses inspectrices et les respecte.. Au-delà de l’intrigue policière, très bien ficelée au demeurant, l’auteur avance dans la construction d’Eva, peu à peu des éléments sont donnés au lecteur qui comprend pourquoi le malaise de la jeune femme est si grand. On espère qu’elle surmontera ce qui la mine pour avancer et se reconstruire.
Et la Sardaigne dans tout cela ? Ce n’est plus l’aspect sauvage, poétique et immémorial de l’île qui est mis en avant, ce sont plutôt les relations avec le continent qui prennent le pas, avec un florilège d’expressions sardes et siciliennes. Cependant, au détour d’une péripétie, un bout de plage idyllique est aperçu. Le surf est devenu pour Eva un exutoire à son mal être. La symbiose de ses émotions avec la mer sarde pouvant passer du bleu paradisiaque au gris le plus sauvage, est très bien décrite apportant une présence de la nature belle et surprenante dans la traque aux justiciers monstrueux.
Ah, j’allais oublier le prologue qui m’a tout de suite plongée dans le vif du sujet et montre d’entrée de jeu le crescendo angoissant mis en place.
« L’illusion du mal » est une vraie réussite et me conforte dans l’idée que Piergiorgio Pulixi fait partie des grands auteurs de polars.
Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux
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